Dossiers > Innovation > Face à une Supply Chain sous tension, quelles innovations pour 2022 ? > Entretien Logitrade
‘‘Baromètre Industrie 4.0 2021 : A quoi ressemblera la Supply Chain de demain ? ’’
Agnès Damette, Présidente de Logitrade
88%1 des entreprises industrielles déclarent avoir lancé un projet d’industrie 4.0. Les résultats de ce baromètre viennent appuyer la volonté du Gouvernement d’accélérer la digitalisation de l’industrie en France, qui a lancé un appel à projets pour créer une filière dédiée aux technologies de la logistique et des transports. Innovations, digitalisation et utilisation de l’IA, à quoi ressemblera la supply chain de demain ?
Comment les entreprises industrielles se renouvellent-elles pour aller vers une industrie 4.0 ?
A l’orée des années 2010 le leadership allemand sur les technologies à moyenne et forte technicité s’est trouvé menacé par l’émergence de ce qui allait devenir les GAFA puis GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). L’hégémonie et le monopole de ces dernières dans l’appropriation de la donnée consommateur les mettaient en haut de la pyramide de la captation de valeur. Les industriels allemands ont alors riposté en 2011, à l’occasion de la foire de Hanovre, avec l’introduction du concept « d’industrie 4.0 ». Le consommateur et ses données seront désormais placés au centre du dispositif industriel.
Confrontés à une volatilité de plus en plus forte des comportements d’achats des consommateurs, à un pouvoir de rétention qui s’amenuise, les industriels sont maintenant contraints d’adapter leurs méthodes et leurs outils.
Il s’agit en amont de capter les données comportementales pour adapter l’offre en temps réel, en aval d’enrichir l’expérience utilisateur pour lutter contre l’attrition et pendant le cycle d’échanger les informations entre les acteurs et les machines pour réduire le « time to market » et les coûts de lancement et d’adaptation.
De nombreuses solutions techniques permettent de répondre aux nouveaux besoins de captation, de stockage, de traitement et de partage de la data, que ce soient grâce au cloud, à la virtualisation, à la blockchain ou à une base de données parallélisées.
Aux besoins d’adaptation en temps réel des moyens à la demande et aux aléas de production, les industriels disposent désormais de solutions de virtualisation et de communication machine à machine.
La robotisation jusqu’alors réservée aux industries de grandes séries ou sous contrainte peut désormais s’étendre à de nombreux secteurs d’activité comme le secteur de la logistique manufacturière, le secteur du retail, celui de la chimie ou encore celui de la pharmacie.
Supply Tech : quelles sont les dernières innovations pour le secteur de la Supply Chain ?
L’évolution de la supply-chain est particulièrement impactée par ce changement de paradigme. Il faut être en mesure de répondre aux besoins du consommateur en quelques heures et pouvoir l’informer en temps réel de l’évolution de sa commande.
Verticalement, la supply-chain doit s’adapter pour répondre à une grande variété – et variation - ainsi qu’à un morcellement du besoin. Le défi est gigantesque pour les acteurs de la supply-chain. L’anticipation des besoins, les calculs capacitaires, l’intégration des aléas en temps réel, la flexibilité des moyens sont autant de contraintes que doit être en capacité de gérer une supply-chain 4.0. La robotisation s’est imposée dans de nombreuses activités de manutention (+20% sur les cinq dernières années) grâce à la virtualisation du contexte opératoire et à l’abaissement du coût des robots (-40% sur 10 ans dans l’IA).
Horizontalement les impératifs de délai d’exécution conduisent à multiplier les données échangées tout au long de la chaîne de valeur. L’interconnexion et la mise en réseau des différents acteurs sont une dimension essentielle de la Supply Tech. Le partage de ces données permet une restitution en temps réel des différents statuts de sa commande au consommateur.
Les magasins deviendront-ils tous digitaux ? Et les catalogues électroniques ?
La digitalisation d’aujourd’hui s’appuie encore grandement sur la catégorisation fine. Ainsi les magasins digitaux et les catalogues électroniques reposent-ils sur la notion d’article. On pourrait penser que les services échappent encore à cette « normalisation » forcée.
Cependant il y a fort à parier que l’échappatoire du « service + » ne résistera pas longtemps à ce mouvement de virtualisation. L’intelligence artificielle cannibalisera sans aucun doute un nombre important de services grâce aux capteurs, à la virtualisation et à la reconnaissance vocale.
Une fois de plus le monde du retail s’est montré précurseur. L’IA permet désormais une personnalisation des propositions et des catalogues. Un défi devant lequel sont placés de nombreux distributeurs généralistes est la mise en évidence de la donnée pertinente. L’aide à la décision et la personnalisation de l’offre sont des attentes partagées par l’ensemble des consommateurs qu’ils soient industriels ou simples particuliers. Les nouveaux outils d’étiquetage des données ouvrent ainsi la voie à un traitement massif et rapide des données.
Aussi les limites de cette digitalisation galopante ne sont sans doute pas tant techniques qu’éthiques et sociétales. En effet alors que la décarbonation s’impose désormais collectivement, les impacts environnementaux de cette digitalisation commencent tout juste à être questionnés. Redondance de la donnée, minage, explosion des transports dits du « dernier km », etc. sont autant d’obstacles futurs à cette généralisation débridée de la digitalisation.
A quoi ressemblera la Supply Chain 4.0 ?
A la notion de simple commodité correspondra sans doute une supply-chain automatisée et virtualisée. Les enjeux de coûts conduisent à la généralisation des robots intelligents (drones, véhicules autonomes, convoyeurs…), la massification permettant d’obtenir des retours sur investissement rapides. En parallèle les besoins de traçabilité totale des produits sont supportés par un ensemble de techniques allant du cloud, aux étiquettes RFID en passant par les réseaux 5G et bientôt satellitaires. Un produit pourrait se résumer à une empreinte numérique qu’il s’agit de suivre tout au long de son cycle de vie. Le consommateur se virtualise derrière ses habitudes de consommation, son profil décliné en autant d’attributs que de sollicitations potentielles, il est traçable et devient une cible prédictible. La dernière couche qui parachève cette virtualisation correspond à la numérisation du monde réel en mouvement.
L’enjeu pour les industriels de remonter très en amont dans cette chaine de valeur est primordial. Les industriels allemands ne s’étaient pas trompés en 2011 à Hanovre, désormais Apple, Amazon et Microsoft se lancent après Google dans la course à l’automobile du futur.
L’intimité client va se décliner sans doute de façon multiple. Du simple conseil à la personnalisation poussée, du partage de proximité à la quête d’authenticité, le chemin passe à non point douter par un besoin de partage de valeurs communes.
Les modèles de la Supply Tech et du circuit-court cohabiteront et fluctueront au gré des avancées technologiques et des évolutions sociétales. La notion de responsabilité sociétale et environnementale sera à l’évidence déterminante dans l’approche future de la supply chain tant au plan collectif qu’individuel.
1 Source : https://www.wavestone.com/fr/insight/barometre-industrie/
P. BARRAT | INETUM J. BOUR | DDS LOGISTICS V. BATTAGLIA | GEFCO M. ORTIZ GARCIA | RHENUS R. CAWSTON | GXO LOGISTICS L. KRAFFMULLER | KUEHNE+NAGEL A. DAMETTE | LOGITRADE |