Notions > Transport > Le ferroutage : intérêts, limites et perspectives
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Introduction
La généralisation de la gestion à flux tendus, et le fractionnement des lots, qui correspondent aux deux grandes tendances d’évolution de la logistique moderne, ont contribué à favoriser l’essor rapide du transport routier.
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De même, la concurrence accrue et l’émergence de tarifs toujours plus compétitifs qui en résulte, ont considérablement renforcé l’intérêt de ce mode de transport par rapport aux autres.
Cependant, si la route réalise 90% du tonnage transporté en France, elle éprouve de plus en plus de difficultés à maintenir un très haut niveau de qualité. En effet, la saturation progressive des itinéraires routiers et autoroutiers, associée à la difficulté d’accroître la capacité de ce réseau, amène les chargeurs à examiner la possibilité d’avoir recours à d’autres modes de transport.
Par ailleurs, les coûts provoqués en termes d’environnement et de sécurité ont amené la collectivité à prendre conscience de la nécessité de limiter le développement du « tout routier ».
Les autres modes de transport, utilisés seuls, peuvent donc contribuer partiellement à absorber cette croissance des trafics et à lutter contre les méfaits de la route, mais il devient alors nécessaire que les sites expéditeurs et destinataires soient équipés d’un embranchement ferroviaire ou fluvial.
Si tel n’est pas le cas, le transport multimodal constitue alors la seule alternative. Dans l’absolu, toutes les combinaisons sont possibles entre les modes de transport (fer/voie d’eau, voie d’eau/route...), mais en pratique, c’est essentiellement le transport combiné rail-route (ferroutage) qui progresse du fait de sa plus grande aptitude à s’inscrire dans une chaîne logistique multimodale.
Le ferroutage comprend deux techniques :
- le chargement des camions sur des trains spéciaux d’une part,
- le transport et le transfert des containers d’un mode de transport à l’autre, d’autre part.
Plus précisément, il est fondé sur une Unité de Transport Intermodal (UTI), dans laquelle la marchandise est transportée de bout en bout par le mode le plus approprié :
- la route seulement en desserte d’extrémité (trajet initial et terminal), avec un parcours le plus court possible,
- le rail pour le parcours principal.
Le rapport entre ces deux phases du transport fait que la distance de pertinence généralement admise pour le ferroutage est supérieure à 500 km.
En
effet, une telle distance permet «d’amortir
» le coût induit par les chargements
et déchargements liés aux
changements de mode de transport, propre
au transport combiné. Ainsi, en France,
l’importance des trafics de longue
distance, due à l’éloignement
des principales régions urbaines
entre elles, constitue un véritable
atout pour le développement du ferroutage.
Il doit permettre de délester le
réseau routier du trafic longue distance.
Cependant, son taux de pénétration
reste faible (la part modale du ferroutage
en tonnes-kilomètres comparativement
à la route est de l’ordre de
7 %). Il est donc nécessaire de s’interroger
sur ses capacités à concurrencer
le transport routier, notamment en terme
de compétitivité.
Le ferroutage constitue-t-il, en France, une véritable alternative à la route, en mesure de concilier les préoccupations touchant à l’environnement, à la sécurité de circulation et les besoins de la collectivité en matière de transport et de commerce ? Pour le déterminer, il convient d’analyser les différents intérêts de ce mode de transport, puis d’étudier quelles sont les contraintes qui expliquent qu’il reste peu utilisé dans notre pays.
I) Intérêts
Depuis quelques années, en Europe et plus particulièrement en France, la volonté de recourir au ferroutage semble s’accentuer. Dans son rapport de mission, Marc-Philippe Daubresse, président du Conseil du transport combiné, souligne que «de 1994 à 1997, le Transport Combiné a bénéficié, en France, d’une aide directe à l’exploitation qui est passée progressivement de 50 à 365 millions de francs ».
Les raisons de cet engouement sont principalement de deux ordres. Elles se fondent d’abord sur la nécessité de lutter contre le développement excessif du transport routier, puis sur les atouts propres au ferroutage.
-
la lutte contre les conséquences négatives de la route
En
France, le transport est déjà
très largement dominé par
la route (70% du tonnage-kilométrique),
et de plus, un glissement s’opère
actuellement de la voie fluviale et du
fer vers ce mode de transport.
Ainsi, la part du transport routier en
tonne/km est passée de 50 à
70 % dans les trente dernières
années et continue de croître
très rapidement.
Il
est donc devenu nécessaire de prendre
en considération les conséquences
des excès du transport routier
sur la saturation et la congestion des
infrastructures, l’environnement,
et la sécurité.
Le recours au ferroutage résout
ces différents problèmes
qui ont déjà atteint un
seuil critique dans certaines régions.
-
saturation et congestion des infrastructures
D’après toutes les prévisions, le trafic routier de marchandises devrait continuer de croître très fortement dans les prochaines années. Ainsi, la Commission européenne estime que «le trafic routier intra-communautaire de marchandises pourrait poursuivre son évolution, avec une croissance supérieure à 90% d’ici 2010. Le trafic international croîtrait de l’ordre de 87,5% à 156% »
En effet, de nombreux facteurs devraient alimenter cette croissance, et en particulier :
- la libéralisation du marché des transports,
- la généralisation de la gestion à flux tendus, et la demande croissante des livraisons juste-à-temps, qui aggravent l’encombrement puisqu’elles conduisent à de plus fréquents trajets de retour à vide,
- l’importante concurrence à l’intérieur du secteur des transports routiers et la baisse des prix qu’elle entraîne,
- la croissance de l’économie française et de nos voisins européens,
- la libéralisation des échanges internationaux.
Ce développement des flux de marchandises est particulièrement important dans certaines zones et sur certains axes. Les bassins de forte production, de forte consommation et de forte densité démographique et urbaine sont donc menacés de saturation et il existe un risque de congestion des principaux axes routiers.
Si des goulets d’étranglement sur de grands axes routiers nationaux apparaissent (le passage obligatoire que constituait le Tunnel du Mont Blanc en a apporté un exemple dramatique), les exigences de l’économie en matière de transport juste-à-temps et de zéro-stock, ne pourront plus être satisfaites. Une véritable menace en terme de qualité de service (allongement des temps de transport, retard à la livraison, etc.) pèse alors sur le mode routier.
Ne tend-on pas, dans ces conditions, vers une capacité maximale du réseau routier, qui, une fois atteinte, provoquera le blocage du système ?
Pour résoudre les problèmes de qualité de service que provoquera sa croissance, le transport routier aura besoin de nouvelles infrastructures. Mais là encore, on a peut-être atteint une certaine limite. En effet, outre l’importance du coût de construction de telles infrastructures, les territoires sont déjà bien «occupés».
En fait, c’est la répartition entre modes de transport de marchandises qui est à l’origine de la saturation des axes routiers et autoroutiers. En 1997, sur le marché français, 90% du transport de marchandises (en tonnage) était réalisé par route (contre 8% pour le fer et 2% pour la voie fluviale).(3)
Face à une telle répartition, les projets de rééquilibrage entre les modes se multiplient notamment en faveur du fer. Or, la capacité par rail est limitée dans les zones de congestion de trafic et le développement de nouvelles infrastructures est coûteux, prend du temps et est politiquement difficile à imposer.
D’ailleurs, le fer souffre d’un manque de fiabilité perçue par les clients. En effet, les trains de marchandises circulant à plus faibles vitesses (80 à 120 km/h) ont tendance à être écartés pour les trains de voyageurs qui bénéficient d’une priorité de passage.
De même le recours au transport par voie navigable est limité puisqu’il dépend essentiellement de caractéristiques géographiques.
Pour
contrer cette menace, il semblerait donc
plus efficace de développer une véritable
intermodalité entre le rail et la
route quand les deux modes de transport
se trouvent géographiquement disponibles
à immédiate proximité
des aires logistiques.
La promotion, sous forme d’aides financières,
par la France, de transports intermodaux,
combinaisons rail-route, montre la volonté
des dirigeants de transférer une
partie des trafics routiers vers ce mode
alternatif.
Ainsi, en se substituant progressivement au «tout routier», le ferroutage permettrait de prévenir le risque de saturation des principaux axes routiers, mais également de limiter les nuisances pour l’environnement et les problèmes de sécurité dont ce mode de transport est à l’origine.
-
environnement et sécurité
Au-delà des coûts économiques provoqués par la saturation des principaux axes et par l’apparition de goulets d’étranglement, le développement du transport routier, a un coût social particulièrement élevé en termes d’environnement et de sécurité.
L’accroissement du trafic des camions risque de provoquer, une augmentation de l’insécurité. La nécessité d’être toujours plus compétitif dans un secteur caractérisé par une concurrence très forte, a tendance à entraîner un non-respect des consignes de sécurité.
En effet, le développement du transport routier est lié à son faible coût. Ces tarifs s’obtiennent par la pratique de salaires bas et au prix de conditions de travail parfois à la limite de la légalité, les fréquentes grèves des chauffeurs routiers en témoignent. La période de travail quotidien d’un conducteur touche à sa fin à partir de 600 km environ, c’est-à-dire après 8 heures de conduite. Au-delà, le transporteur demande parfois à son chauffeur de faire un nombre considérable d’heures supplémentaires. Sur les longues distances, le ferroutage réduit donc considérablement les risques d’accidents de la circulation.
La croissance du transport routier peut se révéler également catastrophique pour l’environnement, en effet :
- la route augmente la pollution de l’air, l’effet de serre et les nuisances acoustiques,
- les besoins nouveaux en infrastructure
et les problèmes d’encombrement
détériorent le paysage,
- la sécurité dans le transport des matières dangereuses n’est pas assurée.
L'ordre de grandeur des coûts de la route serait ainsi de 3,8 % du PIB pour les voitures et camions.
Face à de telles nuisances, peut-être est-il dans l’intérêt de notre pays de suivre l’exemple de la Suisse. Notre voisin a en effet interdit aux véhicules ayant un certain tonnage ou transportant des matières dangereuses de circuler sur son territoire.
Dans un article paru dans la revue Après-demain,
Martine Rèmond-Gouilloud explique
qu’il existe aujourd’hui une
opposition entre le «droit au transport»,
qui sert l’intérêt individuel
et le devoir de respect envers l’environnement
et la sécurité, qui ramène
au souci collectif.
Tant que l’économie de marché
prônera le règne des flux tendus,
qui diminuent les frais de stockage des
magasins, mais qui en contrepartie encombrent
les routes de camions, tant que l’intermodalité
des transports de marchandises sera analysée
selon des critères uniquement fondés
sur des gains de productivité, c’est-à-dire
tant que les données concernant l’environnement
et la sécurité ne seront pas
effectivement prises en compte par les politiques
publiques, le développement du transport
routier est voué à s’intensifier,
et avec lui, les dommages qu’il provoque.
Toutefois, on note actuellement un souci grandissant de protection de l’environnement dans les politiques d’aménagement du territoire. Le combiné apparaît, là aussi, comme un moyen de concilier ensemble ces «deux forces parallèles, égales entre elles, de sens contraire». D’ailleurs, certains grands chargeurs, pour des raisons d’image de marque, ont décidé de recourir à ce mode, qui conforte les valeurs «écologiques» de leur produit ou de leur prestation.
Pour
éviter que la croissance de la route
n’aggrave l’état de pollution
acoustique et atmosphérique actuel,
il devient nécessaire de trouver
des alternatives, et le ferroutage semble
en être une.
De même, du point de vue de l’espace,
le recours à ce système permet
de limiter les problèmes de consommation
de territoire. En effet, si chaque mode
de transport nécessite l’installation
d’infrastructures, celles-ci sont
plus ou moins importantes selon le mode
considéré. Or, les infrastructures
routières et autoroutières
sont nettement plus consommatrices que celles
nécessaires pour le fer.
L’analyse du coût économique pour la société, engendré par les deux modes de transport confirme l’intérêt du transport combiné rail-route.
Ainsi, le rapport Daubresse relève qu’il permet une réduction des coûts externes d’environnement liés à l’utilisation de la route : « Une évaluation des avantages externes, conduite en utilisant les valeurs monétaires retenues par les rapports Brossier et Boiteux permet d’avancer une valeur de 1 490 MF pour l’économie collective réalisée par le transport par voie ferrée des 12,2 milliards de tonnes-kilomètres effectués en France en 1995. On trouve parmi ces avantages la réduction de la pollution atmosphérique, la suppression du bruit et de l’encombrement dus aux poids lourds. Cette évaluation est très supérieure au produit des taxes qui auraient été perçues si ces transports avaient été faits par route. Cette différence apporte ainsi une confirmation de l’intérêt socio-économique d’une aide publique au développement du combiné. ».(5)
Par conséquent, en comparant les
différentes composantes des coûts
externes du transport routier et du ferroutage
pour la collectivité, aussi bien
en termes économiques que sociaux,
on se rend compte de l’intérêt
de privilégier le second.
La prise en compte des effets externes du
transport ne peut donc pas être laissée
au libre jeu des forces du marché
et relève, globalement, d’une
démarche sociale et politique.
Ainsi, le ferroutage semble-t-il en mesure
de combattre des effets négatifs
du transport routier pour la collectivité.
-
atouts propres au ferroutage
Si
l’intérêt principal du
ferroutage semble être de lutter contre
les inconvénients du «tout
routier», il convient tout de même
de souligner ses qualités propres
:
Il s’agit d’une formule à
la fois souple et fiable pour un client
ayant des volumes à traiter ne relevant
pas de la compétence du train complet
et désirant une relation de porte
à porte.
En fait, selon le rapport Daubresse, il permet de bénéficier des avantages fondamentaux des deux modes, puisqu’il allie la capacité de la route à desservir l’ensemble du territoire et l’aptitude du fer à effectuer des transports de longue distance de façon économique. Autrement dit, le transport combiné rail-route réunit la fiabilité du rail et la souplesse de la route.
En
effet, peu dépendant des impondérables
comme les intempéries ou la circulation
ralentie, l’acheminement peut être
planifié avec précision.
Il s’agit alors d’un mode de
sous-traitance efficace, rapide et sûr,
pour le transporteur routier : outre la
baisse du coût salarial, il permet
de mieux respecter la réglementation
routière, et donne accès à
un réseau étendu autorisant
le transport sur longues distances.
Ainsi, au-delà de l’image écologique
valorisante qu’il procure, sa fiabilité
et sa souplesse permettent d’atteindre
une qualité de service satisfaisante
en particulier pour les longs trajets.
La rapidité qu’il offre pour les distances supérieures à 500km est un véritable atout pour le transport en France et en Europe. De plus, dans la perspective du développement économique des Etats situés à la périphérie de l’Europe, le transport combiné rail-route accroît la mobilité nécessaire et donne une possibilité sûre de transport vers les marchés d’Europe Centrale et de l’Est. Il permet donc aux entreprises françaises de livrer leurs clients étrangers dans de bonnes conditions générales.
Ainsi, indépendamment de ses atouts propres, le recours au ferroutage est surtout présenté comme une solution à des problèmes qui lui sont extérieurs. Il apparaît clairement qu’une utilisation plus intensive de ce mode de transport permettrait une réduction substantielle de certains déséquilibres et dysfonctionnements du système de transport national.
Toutefois, nous allons le voir, les obstacles qu’il doit encore surmonter sont importants, même si la progression en volumes traités et les gains progressifs en rentabilité laissent présager d’un avenir plus serein.
II) Contraintes
Le ferroutage permet de lutter contre les
excès de la route. C’est pourquoi
il constitue un axe prioritaire dans la
politique française des transports.
Cependant, les contraintes qu’il impose
sont nombreuses et risquent de limiter son
développement. Il ne dispose d’ailleurs
aujourd’hui que d’une faible
part par rapport à la route.
Ces contraintes sont notamment d’ordre
économique. Elles tiennent en particulier
à la faible rentabilité que
revêt le ferroutage pour la SNCF,
à l’écart entre la qualité
de service offerte et les exigences de la
demande, à des tarifs pratiqués
supérieurs à ceux de la route
et aux impacts organisationnels que provoque
le changement de mode de transport.
-
faible rentabilité pour les compagnies ferroviaires
En
France, le développement du transport
combiné rail-route est avant tout
lié à la place qu’il
occupe dans le système de production
(en particulier en terme de rentabilité)
des compagnies ferroviaires et donc dans
celui de la SNCF.
Or, aujourd’hui, pour être en
mesure de concurrencer le transport routier,
le prix du ferroutage tend à s’aligner
de plus en plus sur celui de la route. Cette
tendance à la baisse des tarifs constitue
alors un frein ne permettant pas d’atteindre
le seuil de rentabilité.
Le développement du ferroutage repose en fait sur une faible rémunération du maillon ferroviaire afin de préserver la compétitivité de la chaîne intermodale face à la solution routière. C’est donc la SNCF qui assume, dans une large mesure, le coût financier de ce développement, qui profite à la collectivité.
Ainsi, même si dans le cadre du volet fret du projet industriel SNCF, des efforts sont prévus pour dégager des gains de productivité sur l’exploitation ferroviaire, une aide externe reste, aujourd’hui, nécessaire pour permettre au maillon ferroviaire de parvenir à l’indispensable équilibre.
En conséquence, si les coûts de développement ne sont pas réduits (ils le sont actuellement en partie grâce à une aide de l’Etat), le trafic de transport combiné est condamné à décroître par recentrage sur les seuls segments de marché rentables.
Confronté à de tels problèmes de rentabilité, il devient difficile de faire les efforts nécessaires pour proposer une bonne qualité de service. Il s’agit pourtant d’une condition indispensable pour que les clients se détournent de la route. Le ferroutage ne pourra en effet s’imposer qu’à la condition de présenter des performances comparables à celle de sa concurrente en termes de coût et de qualité.
-
écart entre qualité de service offerte et exigences de la demande
Les normes de qualité exigées par les clients ont été déterminées en fonction de celles offertes par le transport routier. Ces aspects concernent principalement la rapidité, la souplesse et la fiabilité.
La réponse à ces différents aspects, relèvent en particulier des critères suivants :
- la fréquence des acheminements (si elle est bonne, elle permet d’approcher la souplesse de la route et de différencier les envois),
- le temps de transport, il est particulièrement important dans le cadre des trains d’axe (liaisons directes),
- la prolongation des plages horaires de départ dans l’organisation des trains directs,
- l’information sur les envois et leur suivi,
- l’organisation des dessertes routières,
- les services annexes : location de matériel, stockage des Unités de Transport Intermodal (UTI), mise à disposition de locaux pour les chauffeurs, mise à disposition de chauffeurs pour la desserte terminale ou organisation de co-traitance.
Ces facteurs conditionnent donc la qualité de service offerte. Or, à l’heure actuelle, le ferroutage en France ne répond pas de manière satisfaisante à l’ensemble de ces critères.
Il existe, en effet, un écart entre ce que propose l’offre et ce qu’exige la demande. Or, pour que les clients adoptent progressivement le ferroutage, il est nécessaire qu’ils retrouvent dans ce mode des caractéristiques (en termes de coût, d’horaires et de délais) aux moins équivalentes à celles de la route ou alors que ce système parvienne à développer des avantages spécifiques : heures de chargement décalées, caisses laissées à disposition, possibilité de remplir les caisses en dehors des heures de pointe d’activité, fiabilité des délais, etc.
Le ferroutage doit en particulier offrir une souplesse et une rapidité satisfaisantes. Si la vitesse du ferroutage semble bonne en valeur absolue, il n’est en fait pas pertinent de raisonner en kilomètres par heure. Le marché demande plutôt une livraison le lendemain ou bien une expédition jour A, livraison jour C.
Pour illustrer les difficultés du ferroutage en terme de rapidité, reprenons certains exemples traités dans le rapport de la CEMT (Conférence Européenne des Ministres des Transports)(6) :
Lorsque l’expéditeur amène un chargement en camion à 17h00 à la rampe de chargement, l’opérateur peut avoir des difficultés à atteindre le terminal de transbordement avant l’heure de fermeture de ses portes, qui peut être fixée à 18h30 pour un train donné. Les mêmes problèmes peuvent se produire à l’arrivée.
Si les unités de chargement pour transport combiné ne peuvent pas être transportées jusqu’au terminal de transbordement d’arrivée pour le ramassage avant 9h00 du matin, il sera trop tard pour le livrer à son destinataire en temps voulu.
Comme le montre la CEMT, le système risque donc de manquer de souplesse. Il impose des heures précises de chargement qui peuvent transformer un retard de quelques minutes à l’arrivée au terminal de transbordement en un retard de 24 heures pour la livraison.
Les expéditeurs de détail
ont en particulier besoin d’une souplesse
qu’ils ne peuvent trouver dans le
ferroutage :
Leurs envois sont amenés jusqu’au
centre de triage du transitaire qui les
transforme en camions complets destinés
à différentes zones de livraison.
Ils sont alors chargés dans des caisses
mobiles en fonction de ces zones. Lorsque
le dernier envoi arrive à 18h00 dans
les locaux du transitaire, il est impossible
d’achever le chargement des camions
avant 19h30. Or, si les camions quittent
le centre de triage après cette heure,
ils ne peuvent pas livrer les caisses mobiles
à temps pour le départ du
terminal de transbordement en transport
combiné.
Les mêmes contraintes sont présentes à l’arrivée. Au total, le retard pris empêche donc de satisfaire la demande du marché.
Par conséquent, les expéditions de détail restent le plus souvent assurées par le transport routier. Or, cette situation est problématique, puisque les expéditions de détail représentent le segment du marché à la croissance la plus rapide dans le domaine du transport de marchandises.
Le critère de fiabilité est lui aussi impératif. La performance des systèmes logistiques actuels en flux tendus en dépend.
Le transport combiné rail-route comprend deux opérations de transbordement, c’est-à-dire la réorganisation du trafic dans deux points nodaux (points de concentration des flux permettant de traiter les trains en un lieu unique, et donc de regrouper les flux). Or toute réorganisation du trafic comporte trois dangers :
- retard : nous venons de le voir, si après un faible retard dans le ramassage, il s’avère impossible de prendre le train de transport combiné au niveau du terminal de transbordement, le retard peut augmenter, et atteindre 24 heures ;
- dommages :les opérations de manutention
au moyen de grues impliquent un risque de
fausse manoeuvre et de dommages pour la
cargaison ;
- confusions et erreurs : il est possible de charger la mauvaise caisse mobile dans un train tandis que la bonne reste dans le terminal de transbordement.
Il s’agit là de risques supplémentaires typiques liés à un changement de mode en cours de transport, risques qu’on ne rencontre pas normalement dans le transport de porte-à-porte.
Au-delà
de carences qui trouvent leur explication
dans l’existence de spécificités,
l’offre du ferroutage est également
déficiente concernant un autre point
:
Nombre de transporteurs routiers mettent
en place un système d’information.
L’objectif est d’être
informé en temps réel de la
progression des marchandises et des éventuels
problèmes rencontrés. Les
clients considèrent le bon fonctionnement
de ces systèmes comme une composante
essentielle du critère de fiabilité
dans la mesure où ils leur permettent
d’être informés sur les
éventuels retards et accidents.
Le transport combiné n’est pas en mesure de mettre en place de tels systèmes d’information aussi facilement que les transporteurs routiers. Alors que le conducteur de camion dispose d’un téléphone cellulaire lui permettant d’informer immédiatement l’entreprise, dans le ferroutage, l’unité de chargement n’est pas accompagnée par un conducteur susceptible de prendre une telle initiative. Les systèmes de surveillance et d’information relèvent donc d’une conception et d’une mise en oeuvre beaucoup plus complexes.
Un tel différentiel de qualité de service par rapport au transport routier handicape clairement le ferroutage. Les acteurs de la chaîne du transport combiné doivent offrir aux chargeurs un niveau de performance et de fiabilité conforme à leurs exigences, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
-
des tarifs trop élevés
Nous venons de le voir, le ferroutage n’offre pas à ses clients une qualité de service suffisante. C’est également le cas en ce qui concerne les tarifs. En effet, le système souffre d’un manque de compétitivité qui se répercute sur les prix qu’il pratique. Il éprouve donc, là aussi, des difficultés à rivaliser avec les transporteurs routiers.
Le premier paramètre qui détermine le recours d’un mode de transport à un autre est, dans la majeure partie des cas, le prix proposé par les opérateurs à leurs clients. Pour effectuer leurs choix, les clients se basent sur le prix de référence de la route. Aussi, la comparaison lui étant défavorable, le transport combiné rail-route est-il rarement la solution retenue.
Pour expliquer cette situation, il convient d’étudier la compétitivité du ferroutage en termes de coûts :
Son prix peut se décomposer comme suit :
- coût de la fourniture du wagon et de la traction ferroviaire,
- coût du transbordement sur les chantiers,
- coût de la desserte routière terminale qui est un poste important du ferroutage, puisqu’il peut présenter jusqu’à 50% du coût total de la prestation.
Certains freins apparaissent donc comme
étant propres à ce mode. En
particulier, l’existence de ruptures
de charge obère sa compétitivité
sur les petits trajets. A cause de ce coût
spécifique qui tient à la
nature même du transport combiné,
le ferroutage est «handicapé»
face aux modes concurrents. Nous l’avons
déjà vu, il ne devient ainsi
pertinent qu’à partir de 500
kilomètres. L’abaissement des
prix routiers tendrait d’ailleurs
à accroître ce seuil. Pour
tous les trajets inférieurs à
cette distance, il ne peut lutter en terme
de tarif.
En fait, dans le prix de revient du ferroutage,
n’est pas pris en compte le bénéfice
pour la communauté française.
Les tarifs pratiqués par les deux
systèmes n’étant pas
analysés dans un même cadre
(ceux de la route le sont du point de vue
des clients alors que ceux du combiné
le sont du point de vue de la collectivité),
il ne semble pas pertinent de les comparer
en valeur absolue.
En définitive, le transport combiné procure des avantages pour la collectivité qui ne sont pas assez valorisés. Pierre Perrod, auteur d’un rapport sur le développement du transport combiné explique que les prix du transport routier ne traduisent pas la réalité : « la mise en place du transport combiné est complexe. Elle s'inscrit dans un marché dont le coût économique est sous-évalué. Et cela pour plusieurs raisons. D'abord, le développement du transport routier a entraîné une baisse des prix. Ensuite, les chargeurs peuvent peser très fort pour obtenir des prix toujours plus faibles. Enfin, le transport routier peut quasiment tout faire, n'importe quand et à n'importe quelle condition. On obtient donc une situation où l’écart entre les prix du transport combiné et de la route ne reflète pas la situation réelle. Cela nécessite une intervention publique puisque l’Etat français et l’Union européenne le souhaitent, pour des raisons économiques, sociales ou touchant à la protection de l’environnement. ».
Les transports routiers bénéficient
donc de coûts abusivement bas qui
progressivement déstabilisent totalement
le marché des transports puisque
ne sont pas pris en compte les coûts
des pollutions, des accidents, de l’usure
des infrastructures, de la raréfaction
de l’espace, etc.
Toutefois, comme le souligne Armand Toubol
: « Quelque soient les avantages externes
d’un mode de transport, c’est
le client qui décide en dernier ressort.
Ses critères de décision sont
essentiellement fondés sur une analyse
des rapports qualité/prix des prestations
proposées ».
Tant que la comparaison des coûts (pour les clients et non pour l’ensemble de la société) sera aussi défavorable au ferroutage, son développement sera condamné.
De même, l’avenir du ferroutage semble corrélé au nombre d’entreprises routières qui accéderont aux techniques multimodales. Lorsque celui-ci sera suffisant, les coûts seront amortis, et logiquement, les prix diminueront.
La part marginale du ferroutage dans l’offre de transport ne lui permet pas encore d’être une alternative crédible pour de nombreux chargeurs potentiellement intéressés. Les efforts de promotion du ferroutage auprès des chargeurs se heurtent à la faible rentabilité d’investissements qui ne peuvent être utilisés en général que pour une partie seulement de leurs acheminements. On se heurte ici aux difficultés propres au lancement d’une activité dont les rendements sont croissants et dont les investissements initiaux ne se justifient qu’au-delà d’un certain niveau d’utilisation.
A long terme, les transports combinés n’évolueront de manière favorable que si leur exploitation est économique pour l’ensemble des opérateurs, des organisateurs, et des utilisateurs, et que si la qualité des prestations offertes est comparable à celle du transport effectué de bout en bout par voie routière. La compétitivité du ferroutage doit donc être améliorée en termes de qualité de service et de rapport prix/coûts.
A l’heure actuelle, le manque d’attrait des tarifs du ferroutage par rapport à ceux pratiqués par la route semble rédhibitoire.
-
les impacts organisationnels
L’adoption du ferroutage est confrontée à une dernière contrainte : elle nécessite un certain nombre d’évolutions organisationnelles aussi bien dans le domaine des transports que pour les entreprises clientes. Ces impacts sur le fonctionnement des sociétés, et donc sur leur stratégie sont particulièrement contraignants et viennent une nouvelle fois compromettre le développement du mode combiné rail-route.
-
l’organisation des transports
Le ferroutage modifie le domaine d’intervention de la route. Celle-ci devient uniquement un mode de transport de zone courte et nécessite donc l’abandon de la culture de zone longue, référence du secteur routier.
Une redéfinition de l’organisation des entreprises de transport dans leurs composantes spatiales et en partie sociales est alors requise. Cette modification a, en particulier, de fortes répercussions sur le travail des chauffeurs.
En outre, le fer et la route ayant des systèmes d’exploitation et des normes de qualité divergents, des difficultés d’optimisation de leur complémentarité subsistent. Deux positions difficilement conciliables s’affrontent :
- pour l’opérateur ferroviaire, la rentabilité des lignes est un critère majeur qui explique notamment la suppression des axes les moins rentables et la constitution d’un point nodal (point de concentration des flux permettant de traiter les trains en un lieu unique, et donc de regrouper les flux).
- pour les utilisateurs routiers, les trains d’axe (liaisons directes) sont privilégiés pour des raisons de délais et de prix, dans le but d’être compétitifs par rapport à la route pure.
Ces impacts organisationnels sont d’importance et contribuent certainement à empêcher le ferroutage d’offrir une qualité de service satisfaisante à ses clients.
-
l’organisation globale des entreprises
Pour le ferroutage, beaucoup plus que pour les autres modes de transport, les caractéristiques de l’offre et de la technique sont particulièrement contraignantes. Elles jouent un rôle structurant sur la demande (limitation géographique de l’offre, compétitivité sur les seules longues distances, nécessité d’un investissement initial, etc.).
Pour être en mesure de recourir au ferroutage, les entreprises doivent donc renoncer à des habitudes liées à l’utilisation de la route et remplir de nouvelles conditions organisationnelles.
La pratique routière actuelle est marquée par la volonté des entreprises d’être présentes aux deux extrémités de la chaîne et d’éviter ainsi le recours à la sous-traitance ou à la co-traitance.
Cet état d’esprit constitue un frein considérable à l’expansion du transport combiné. Par conséquent, pour qu’une entreprise accepte d’utiliser le ferroutage, seules deux possibilités subsistent :
- soit elle est présente en amont et en aval de l’axe ferroviaire et peut donc accepter d’utiliser le ferroutage,
- soit elle n’est présente qu’à une seule extrémité et doit donc accepter de modifier sa stratégie, c’est-à-dire accepter la sous-traitance ou la co-traitance. Un tel changement dans l’organisation de l’entreprise est difficile à obtenir puisqu’il existe en général une certaine méfiance quant au partage de la clientèle, due à la peur d’être évincé du marché.
En conséquence, le nombre de sociétés potentiellement clientes reste limité.
Un autre frein au développement du transport combiné rail-route tient au fait qu’il dépend de l’implantation de ses utilisateurs. En effet, une installation à proximité des grands axes ferroviaires, près des principaux points d’émission et/ou de réception des flux combinés permet l’obtention de tarifs plus attractifs. Inversement, une entreprise éloignée de ces points est pénalisée.
De même la situation géographique de l’offre a favorisé les entreprises dont l’activité est concentrée autour des terminaux au détriment de celles ayant une forte implantation régionale qui accroît les frais de concentration vers le lieu de chargement ou de déchargement.
Enfin, les petites et moyennes entreprises qui livrent isolément de faibles volumes sont particulièrement dissuadées d’utiliser ferroutage. Leurs difficultés à s’organiser en pool restent pénalisantes en terme de tarif et de rentabilité, dans la mesure où elles remettent isolément de faibles volumes. Le recours au ferroutage les obligerait à repenser leur stratégie en ce qui concerne les alliances.
Ainsi, bien souvent, les sociétés qui souhaitent utiliser ce mode sont obligées d’opérer des changements dans leur stratégie de fonctionnement. On est donc confronté à une véritable barrière, les impacts organisationnels qu’il impose aux entreprises potentiellement clientes pouvant leur sembler insupportables à assumer.
Nombre de freins organisationnels subsistent, empêchant le ferroutage de connaître une forte croissance en France.
En fait, toutes les entreprises ne disposent pas des mêmes potentialités face aux techniques multimodales. Les grands utilisateurs du ferroutage se sont ainsi progressivement orientés vers des produits à forte valeur supportant un coût logistique important, et ont donc poursuivi, à des degrés divers, une politique de niches que les plus petites ont des difficultés à adopter.
En fait, les entreprises utilisatrices du ferroutage sont pour la majorité, celles qui ont acquis une certaine maturité logistique, qui ont structuré spatialement et commercialement leur offre, ce que les entrants potentiels ont de plus grandes difficultés à faire, d’autant que le marché reste étroit et incertain. De même, du point de vue économique, les entreprises positionnées sur des secteurs où l’acheminement ne constitue qu’une part de la prestation globale, sont potentiellement plus aptes à recourir au ferroutage.
Conclusion
Ainsi, économiquement, le ferroutage souffre d’un manque évident de compétitivité vis à vis de la route, notamment pour les petites distances. Il ne peut actuellement concurrencer les poids lourds ni sur la qualité de service ni sur les tarifs.
De plus, il impose de profonds bouleversements dans l’organisation des entreprises, en particulier pour les transporteurs. Ces contraintes bloquent donc son développement.
En conséquence le transport combiné rail-route dispose, aujourd’hui, d’un marché étroit, le maintenant en dessous de la taille critique, qui lui permettrait d’offrir un niveau de prestation satisfaisant.
Toutefois, en tant que mode alternatif au « tout routier », il procure des avantages pour la collectivité qu’il convient de valoriser. Ainsi, dans le cadre de la mission que lui ont confiée le Ministre de l’Aménagement du Territoire de la Ville et de l’Intégration et le Secrétaire d’Etat chargé des Transports, Marc-Philippe Daubresse relevait en 1997 : « si le transport combiné est une option technique et économique, c’est également une option politique qui décide de prendre à un moment donné en considération les effets négatifs des différents modes sur la sécurité, l’environnement et la congestion du territoire, et de les contrer par une alternative peut être moins pertinente, en termes strictement économiques de performance, mais considérablement plus satisfaisante en termes de pertinence sociale »(9).
Son développement est donc souhaitable mais n’est possible que s’il est accompagné d’une aide, qui, au regard de l’économie des coûts externes qu’il permet d’engendrer, semble justifiée.
Cependant, les solutions étudiées par les politiques devront surtout tenir compte des impératifs logistiques des entreprises en termes de niveau de service et de coûts. En effet il est impossible de leur imposer l’utilisation d’un mode dont les caractéristiques ne répondent pas à leurs exigences. Il faut ainsi, donner aux différents intervenants, notamment à ceux qui ont consenti d’importants investissements d’acquisition de matériel spécifique, une certaine visibilité, leur montrant qu’il sera possible d’amortir le surcoût initial de ces matériels.
En effet, cette révolution dans leur mode de fonctionnement et les investissements financiers qui doivent l’accompagner ne sont envisageables qu’avec l’espoir d’une rentabilité à moyen terme.
Une fois cette étape franchie et le seuil de rentabilité de la courbe de développement atteint, l’amélioration de la qualité permettra d’accroître la demande qui elle-même, confortera la qualité.
En définitive, ce démarrage ne paraît réalisable que s’il est dicté par une véritable volonté politique et il faudra certainement des années pour que le système atteigne la souplesse, la fiabilité et la compétitivité permettant sa pérennisation.
D’ailleurs, dans un contexte où les échanges internationaux ont vocation à s’intensifier au sein de la Communauté européenne, pour que la promotion du ferroutage donne les résultats espérés, il serait préférable que l’ensemble des pays européens coordonnent leur stratégie vis-à-vis du combiné.
Ressources complémentaires
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