Publications > Cluster PACA Logistique > Flow n°32 : La logistique dans la ville : anticiper, collaborer et innover
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L’histoire de la logistique urbaine en 10 dates
La logistique urbaine existe depuis… qu’il y a des villes ! Jérôme Libeskind revient pour nous en quelques dates sur son Histoire en France, développée dans son ouvrage « Logistique urbaine, les nouveaux modes de consommation et de livraison ». L’occasion de découvrir et redécouvrir certaines pratiques qui, délaissées hier, sont maintenant présentées comme les solutions de demain.
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LE MOYEN-ÂGE : L’ÉPOQUE DU DÉVELOPPEMENT DES VILLES AUTOUR DES FLEUVES
Au Moyen-Âge, les réseaux existants de routes sont peu sécurisés et le moyen privilégié pour la distribution des marchandises est le mode fluvial. D’ailleurs, les villes ont souvent été fondées au bord d’un fleuve, afin de faciliter leur approvisionnement. Logistique et approvisionnement de la population sont étroitement liés et sont structurés autour des marchés et foires. Ces évènements caractérisent l’activité commerciale des cités.
Le premier réseau de messagerie est celui de la Messagerie Royale, fondée par Louis XI en 1479. 14 lignes de messagerie ont progressivement été développées, avec 250 haltes, les relais, positionnées tous les 28 kilomètres.
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LE XVIIe SIÈCLE : L’INVENTION DES CANAUX
Les premiers canaux français datent du milieu du XVIIe siècle et ont pour objectif de relier entre eux les bassins de la Loire et de la Seine. Il s’agit donc d’améliorer les réseaux d’approvisionnement de la capitale en structurant son hinterland. C’est aussi l’époque de la construction du canal du Midi, qui relie Toulouse à Béziers puis à Sète. La seconde moitié du XVIIe siècle est également marquée par l’amélioration des routes reliant des bassins fluviaux entre eux. C’est par exemple le cas de la route Lyon-Roanne.
Les débats sur les priorités d’investissement dans les infrastructures, que nous connaissons de nos jours, existaient déjà à cette époque. Les écrits de Colbert montrent que l’arbitrage profitait alors souvent aux canaux. En 1681, il conseillait de ne pas dépenser inutilement de l’argent à améliorer la route menant à la capitale, « parce que, à l’égard des vins, blés, et autres denrées et marchandises qui viennent à Paris, elles viennent par eau ».
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LE XVIIIe SIÈCLE : LES PREMIERS ENTREPÔTS MULTIMODAUX
Comme aujourd’hui, les flux de marchandises à l’intérieur des grandes villes françaises sont déséquilibrés, les villes étant avant tout des pôles de consommation. Comme les cités connaissent souvent des disettes, le rôle régulateur des entrepôts apparaît à la fin du siècle. Stocker des denrées à proximité des zones de consommation permet en effet de mieux faire face aux situations d’urgence.
A la fin du XVIIIe siècle, l’approvisionnement de Paris est effectué à part égale par le mode fluvial et la route.
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LE DÉBUT DU XIXe SIÈCLE : L’ÉMERGENCE D’UN TROISIÈME MODE DE TRANSPORT, LE CHEMIN DE FER
Le développement du réseau de canaux s’est intensifié à l’initiative de Napoléon Ier. Nous lui devons aussi l’idée de modernisation des halles, qui sera mise en oeuvre bien plus tard. C’est en effet au début du XIXème siècle que sont mis en évidence les problèmes d’hygiène, de qualité d’approvisionnement des villes et la nécessité de transformer les équipements existants : halles, entrepôts, infrastructures. Le chemin de fer est créé pour l’acheminement de marchandises avant d’être imaginé comme un nouveau moyen de mobilité des personnes. Il apparaît comme une alternative intéressante au mode fluvial.
Sous l’Empire est décidée la création d’entrepôts pour les vins et les huiles à Paris, quai Saint-Bernard, et d’un entrepôt pour le sel sur le boulevard Saint-Antoine (aujourd’hui boulevard Beaumarchais). La première pierre de la halle aux vins est posée le 15 août 1811. Nous assistons déjà à la création de plates-formes multimodales…
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LA SECONDE MOITIÉ DU XIXe SIÈCLE : LA TRANSFORMATION DES VILLES ET DE LA CONSOMMATION
A partir du 1850, tout évolue. Les villes se peuplent rapidement et s’industrialisent. La nécessité de modernisation s’accentue. La consommation se développe avec l’apparition des magasins de nouveautés, puis des grands magasins. Le développement du mode ferroviaire permet de modifier profondément l’origine des produits consommés et leur diversité. Plus que jamais, consommation et logistique suivent des évolutions parallèles.
La construction des Halles de Paris est confiée à Victor Baltard. Mais lors du concours d’architecture de 1845, il faut noter qu’un autre projet particulièrement innovant est présenté par Hector Horeau. Ce projet consiste en un bâtiment unique de 63 000 m² (420 m de long et 150 m de profondeur), situé au droit du quai de la Mégisserie. Ce projet bénéficie d’un accès trimodal et la plate-forme XXL est inventée.
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LE TOURNANT DU SIÈCLE : L’INVENTION DE LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION
Le développement très rapide des grands magasins crée un besoin de consommation et aussi de livraisons à domicile. Les réseaux de transport se modernisent. C’est à cette époque qu’apparaît l’utilisation du tramway pour les marchandises, avec la création en 1893 de l’Arpajonnais, tramfret de 37 kilomètres de long.
Les grands magasins ont dans leurs sous-sols des espaces réservés à la gestion des rendus. Il s’agit de produits achetés et retournés par les clients. Ces rendus font l’objet d’un process précis de remise en rayon. L’e-commerce n’a pas inventé les retours : ils existaient déjà à la fin de XIXe siècle.
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1920 : L’ÉPOQUE DE LA MOBILITÉ ÉLECTRIQUE
Les premiers véhicules électriques datent de la fin du XIXe siècle. Mais c’est dans les années 1920 que cette technologie commence à se développer. Renault construit ainsi un véhicule de livraison électrique à cette période.
En 1926, un véhicule électrique Peugeot parvient à effectuer 192 kilomètres à une vitesse moyenne de 23 km/h. Un siècle plus tard, nous constatons que la performance en termes d’autonomie des véhicules électriques semble avoir peu progressé !
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LES ANNÉES 1950-1960 : LE DÉVELOPPEMENT DU MODE ROUTIER
Le programme autoroutier date de l’entre-deux guerres mais n’est mis en oeuvre qu’à partir des années 1950. La route prend progressivement la part de marché dominante que nous lui connaissons, au détriment du mode ferroviaire. C’est à cette époque que les grandes gares routières sont imaginées, avec l’objectif de rationaliser la distribution des marchandises dans les villes.
En 1956, la chaîne de magasins La Laiterie parisienne possède près de 100 véhicules poids-lourds pour la livraison du lait, ainsi que des fourgons tôlés et des fourgonnettes 2CV pour les autres produits. La livraison du lait est effectuée la nuit : ce mode de livraison est aujourd’hui considéré comme une des solutions pour désengorger les villes la journée.
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LES ANNÉES 1980
Le développement rapide des zones périurbaines, l’étalement urbain, l’émergence des grandes zones et centres commerciaux favorisent la modification de la nature même des villes. En terme d’implantation, les activités de distribution urbaine reculent au rythme de 300 m par an, par rapport au coeur urbain, ce qui participe à l’augmentation sensible des externalités négatives.
En 1984, La Redoute invente le « 48h Chrono ». Le délai garanti devient déjà à cette époque un argument commercial.
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LES ANNÉES 2010
Les années actuelles seront peut-être marquées par la prise de conscience collective de l’importance de la logistique urbaine, et de l’impact de la consommation, en particulier du e-commerce sur les modes de livraisons.
Consommation et logistique urbaine sont plus que jamais contraintes d’évoluer de façon coordonnée.
2015 : cette année est celle de l’émergence du crowdshipping qui permet à tout particulier d’effectuer des opérations de livraison. C’est aussi l’année de la première consigne Amazon en France.
Quelle logistique pour un consommateur hyperconnecté ?
Révolution majeure du début du XXIe siècle, le e-commerce continue de progresser1. Parallèlement, les exigences « logistiques » du consommateur augmentent : encore plus de rapidité voire d’immédiateté, plus de flexibilité, et des prix toujours plus bas voire gratuits. La logistique n’est donc plus seulement en charge de piloter au mieux les 4 milliards de colis e-commerce transportés par an en Europe (400 millions en France) : elle devient un facteur clé d’achat.
La Fédération de la vente à distance et du e-commerce (FEVAD) a lancé en 2015 un observatoire e-logistique regroupant 1.000 marchands. Il suit notamment :
- le délai d’expédition (entre la validation de la commande par le client et l’envoi par le e-commerçant) : en moyenne 1,4 jours ouvrés selon les premiers chiffres
- le taux de succès de la livraison en première instance à domicile : actuellement 84%
- le click to possession (délai de la commande à la prise en main par le client) : 5,4 jours calendaires.
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L’OMNICANAL, LE NOUVEAU DÉFI DU COMMERCE
■ Du multicanal au cross-canal
La démocratisation d’internet et l’essor des objets connectés font évoluer les relations entre les marques et leurs clients, multipliant les canaux* de vente et d’achat possibles. Dans les années 2000 les distributeurs traditionnels adossés à des points de vente physiques (brick and mortar) ont lancé des sites d’achat en ligne ou des drives, devenant des click and mortar.
Puis le cross-canal a créé des ponts permettant de faciliter la navigation du client entre les différents canaux en proposant par exemple de retirer en magasin un article commandé en ligne (click and collect). Mais ce terme de cross-canal se réfère généralement à une organisation des différents réseaux de distribution en silos, qui atteint ses limites en termes de performance.
■ L’omnicanal : effacer les frontières entre commerce physique et commerce digital pour renouer avec un commerce relationnel
D’un point de vue marketing, l’omnicanal veut offrir au client un parcours « sans-coutures » à travers les différents canaux de vente d’une entreprise. Ainsi, pour la Fnac, plus de 40 % des achats sur internet (canal qui représente 17 % de son CA) relient désormais le client à un magasin physique (réservation, livraison). Chez Etam, si vous ne trouvez pas en magasin l’article cherché, il est proposé de le commander (en caisse) pour une livraison rapide à l’endroit de votre choix. En s’appuyant sur différents canaux, les marchands peuvent donc proposer un nombre plus large de modes d’achats, de lieux de récupération du produit, et surtout de références. A titre d’exemple, le plus grand magasin Fnac (Ternes) ne propose « que » 450.000 références tandis que 20 millions sont disponibles sur le site internet... Le consommateur s’attend désormais à bénéficier d’une même expérience d’achat personnalisée quels que soient le nombre et le type de canaux qu’il utilise et le lieu où il se trouve.
Le magasin physique est nécessaire à l’omnicanal, mais doit passer d’un commerce de nécessité à un commerce d’envie. C’est d’ailleurs pourquoi d’importants efforts de rénovation/restructuration sont menés dans les centres commerciaux pour une meilleure expérience shopping (théâtralisation, développement de la convivialité, d’espaces d’activité et de restauration… ).
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UNE RÉORGANISATION LOGISTIQUE EN PROFONDEUR
L’impact de l’omnicanal sur les investissements en TIC et en immobilier logistique est très conséquent… mais indispensable. D’un point de vue logistique « la clé de l’omnicanal est un système de management des stocks totalement intégré offrant au commerçant une transparence totale de son inventaire, afin qu’il puisse le traiter comme un stock unique où que soient situés les produits »2. Il s’agit de passer d’un fonctionnement en silos à une vision globale, orientée client.
■ Une parfaite maîtrise et transparence de l’information
Le client, entreprise ou particulier, apprécie d’être tenu informé de toutes les étapes suivies par sa commande, et surtout d’éventuels aléas. De plus en plus d’entreprises offrent ce suivi : la startup Tok Tok Tok, par exemple, va jusqu’à proposer un suivi en temps réel du livreur.
Cette attente de transparence se manifeste dans d’autres domaines, parfois stimulée par des contraintes réglementaires : traçabilité des composants d’un produit, calcul de l’impact environnemental d’un achat incluant son transport… Cette dernière contrainte vise à avoir un effet bénéfique en favorisant des choix de livraisons plus raisonnés.
La gestion de l’information est donc fondamentale et il est désormais nécessaire de mettre en place du fournisseur au client final une visibilité totale sur les stocks et les produits en circulation ; ce qui demande d’ailleurs davantage de partage et de consolidation d’information entre tous les facteurs de la chaîne.
Le développement continu des systèmes d’information permet également d’optimiser les flux à l’échelle de l’entreprise ou du réseau d’acteurs composant la chaîne de valeur. De nouvelles opportunités se profilent avec le Big Data*. Déjà utilisé par les géants de l’internet dans leur connaissance du consommateur final (BtoC), cet outil peut permettre de mieux prédire/anticiper les demandes, donc de réduire toujours plus les délais de livraison mais aussi de resserrer l’offre proposée en magasin en la ciblant mieux.
■ Un immobilier commercial et logistique qui doit/peut évoluer
La frontière se brouille aussi entre magasin et entrepôt. Aux Etats-Unis en 2012, la chaine de grands magasins Macy’s a réalloué des espaces à l’expédition de commandes e-commerce dans plus d’un tiers de ses enseignes physiques : « Nous avons passé 153 ans à construire des entrepôts, en appelant ça des magasins3».
Une autre option est de faire du picking directement dans les rayons du magasin. Dans d’autres cas, ce sont les entrepôts qui servent à la fois les flux destinés aux magasins et à la livraison à domicile.
En matière d’immobilier commercial, grâce à l’exhaustivité des références accessibles par internet, nombre de distributeurs développent désormais de petits formats (en s’appuyant sur la règle du 80/20)* pour aller à la rencontre des consommateurs sur leurs trajets quotidiens. Ainsi, pour pénétrer de nouvelles zones de chalandise, la FNAC investit les gares et aéroports, mais aussi de petits centres commerciaux via un partenariat avec Intermarché, adaptant chaque fois son offre à la clientèle du lieu. L’achat étant de plus en plus « identificatoire », il n’est pas gênant de proposer moins de produits du moment qu’ils correspondent bien aux chalands. Cela permet aussi de diminuer la taille des magasins existants en toute transparence pour l’acheteur. Il est à noter que cette tendance à la diminution des surfaces de vente libère des espaces, offrant de nouvelles opportunités d’implantation pour des enseignes low-cost qui basent leur modèle sur le prix et la quantité (Primark).
VERS LA LIVRAISON POUR TOUS ?
S’ils sont souvent perçus comme une menace, la vente à distance et le e-commerce sont également des opportunités de développement à saisir pour le petit commerce. Aux États-Unis, la société de livraison participative « Postmates », qui se décrit comme un « anti-Amazon », « utilise la ville comme entrepôt » et se positionne au service du commerce local. En Inde, l’application Look Up permet au consommateur d’entrer directement en contact avec un vaste réseau de petits commerçants (demande de conseil ou vérification de la disponibilité avant venue ou livraison). En France les entreprises Drivoo, Deliveree et l’expérience La Tournée à Belleville proposent leur service à tous les commerces locaux, petits ou grands. Le portage d’achat 2.0 ?...
Améliorer la réactivité à des fonctionnalité : le rôle crucial de la logistique commandes de plus en plus fractionnées implique de même de faire évoluer les entrepôts, en recourant notamment à une mécanisation, automatisation et robotisation croissantes comme on le voit dans les nouveaux entrepôts dédiés au e-commerce (ou aux drives). Soulignons qu’après une stricte ségrégation humain/robot, on tend à évoluer vers plus de mixité, voire même aussi une certaine symbiose (exosquelette). La mécanisation permet ainsi de réduire la pénibilité des tâches en entrepôt.
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ÉVOLUTION DE L’ACTE DE CONSOMMATION : CE QUI VA IMPACTER LA LOGISTIQUE
Terme accompagnant souvent l’omnicanal, « l’expérience client » définit la satisfaction globale du client et englobe la recherche d’informations, le parcours d’achat, l’acte d’achat, l’éventuelle livraison et la gestion après-vente… Avec le développement de l’omnicanal, la logistique joue un rôle encore plus important dans « l’expérience client » ; mais cette place primordiale s’accompagne de plus de complexité.
■ Tout, tout de suite
De nombreux acteurs cherchent à se différencier en poussant la rapidité jusqu’à la livraison le jour même dans les grandes cités : FedEx SameDay®,
Amazon Prime Now, Uber Rush... En France, Darty et Cdiscount proposent de tels services, et la start-up. Deliveree offre même une livraison de proximité en 90 minutes et à moindre coût, en s’appuyant sur les stocks des magasins et un réseau de transporteurs professionnels. Que ce soit par un réassort des magasins plus fréquents sur quelques produits ou des livraisons à domicile multipliées, cette tendance va continuer à atomiser les flux.
■ Livré où je veux, quand je veux
L’hyper-choix tend à devenir la norme pour la livraison : adresse personnelle, bureau, point relai, consigne automatique, coffre de voiture… Il est difficile de prédire aujourd’hui si les solutions de livraison groupées, comme les consignes, pourront contrebalancer la multiplication des points de livraison. La précision, la flexibilité, et le choix de l’horaire de livraison deviennent clairement des arguments commerciaux (système Predict de Chronopost par exemple).
■ Le rôle toujours clé de l’humain
En aval de l’achat, serons-nous demain servis par des drones ou des camionnettes autonomes ? Rien n’est sûr… En effet, si ces technologies ont de l’avenir, l’humain aussi. Ainsi, Tesco a supprimé les caisses automatiques de certains de ses magasins, les agents s’avérant aussi efficaces et plus chaleureux. De fait, à la livraison, un client pardonnera plus facilement un défaut dans la commande s’il peut en parler à une personne souriante et professionnelle (livreur ou SAV, service jugé crucial par le fondateur de vente-privee.com).
■ Consommer sans y penser ? Les objets connectés
L’internet des objets (collecte et échange de données entre objets connectés) ouvre aussi de nouveaux champs. Amazon a développé le « Dash button » pour une variété de produits : synchronisé à l’application mobile, il permet au client Amazon Prime de commander le produit concerné simplement en appuyant sur le bouton. Le moment où un frigo connecté gèrera lui-même son réapprovisionnement n’est peut-être pas si lointain ; avec le service HP Instant Ink, les imprimantes le font déjà. En B2C* particulièrement, ces technologies posent cependant des questions éthiques et légales.
1 Selon E-commerce Europe, son chiffre d’affaire en Europe a encore augmenté de 14% en 2014 pour atteindre 424 milliards d’€.
2 John Sleeman, Directeur EMEA Recherche Logistique et Industrielle, Jones Lang Lasalle, 2013 (traduction propre)
3 Peter Sachse, directeur Magasins de Macy’s, au Wall Street Journal, 2012
Economie circulaire, économie de la fonctionnalité : le rôle crucial de la logistique
Face à la raréfaction des ressources et l’impact environnemental non soutenable des activités humaines, l’économie linéaire qui consiste à prélever, fabriquer, consommer et jeter a atteint ses limites : il faut trouver un autre modèle de développement. L’économie circulaire appelle à revoir notre mode de production et de consommation, en réutilisant les biens, les matières et les flux d’énergie, afin de minimiser au maximum les pertes de matières premières et d’énergie. Ceci implique de repenser complètement la supply-chain, et ouvre de nouveaux champs d’action pour la logistique.
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UN ENSEMBLE DE PRATIQUES DE BON SENS
L’économie circulaire s’appuie sur plusieurs concepts. Certains sont relativement novateurs comme l’écologie industrielle (les déchets d’une industrie servent de matière première à une autre), l’économie de la fonctionnalité (vendre l’usage d’un bien plutôt que le bien), l’éco-conception (penser à la fin de vie d’un produit dès sa conception) le remanufacturing (remise en état des produits au niveau de qualité du neuf). D’autres sont plus connus comme le recyclage, le réemploi et la réparation. Il s’agit finalement d’appliquer des principes de bon sens, dont certains ont été délaissés dans notre mode de consommation actuel.
« Dans cette approche écosystémique, tout produit est pensé comme un flux de matière et d’énergie qui peut être réutilisé, réparé ou encore recyclé en fin de vie » selon François-Michel Lambert, député des Bouches-du-Rhône, président de l’Institut de l’Economie Circulaire, président des travaux de la Conférence Nationale sur la logistique.
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REPENSER LES CHAINES D’APPROVISIONNEMENT
■ De nouveaux schémas de recyclage
Si la collecte des déchets recyclables se met en place (à des vitesses très inégales) sur tout le territoire national, elle pourrait acquérir une nouvelle dimension en étant intégrée dans la supply-chain d’entreprises. Certaines voient déjà l’intérêt de sécuriser leur approvisionnement en déchetsressources – ce qui appelle souvent à un partenariat avec d’autres structures. En France, Castorama travaille ainsi avec Le Relais, entreprise de récupération de vêtements, pour réutiliser les fibres textiles en mauvais état dans la fabrication des isolants thermiques et acoustiques de sa gamme Métisse.
■ Remanufacturing : l’enjeu du suivi des composants
L’un des moyens permettant d’économiser les matières premières et l’énergie est le remanufacturing (réusinage) : un objet « écoconçu » peut être démonté et ses pièces remplacées, afin de prolonger sa durée de vie. Ces dernières peuvent aussi être réutilisées lorsque celui-ci est désossé en fin de vie. Cela implique de tracer non seulement un objet mais également tous ses composants, voire de réorganiser la chaine industrielle, en incluant les flux retours. C’est le cas de machines à café fabriquées en Asie et vendues en Europe : afin de réutiliser les pompes, le fabricant a choisi de rapatrier l’assemblage au plus près des bassins de consommation, plutôt que d’avoir à renvoyer ces pièces en Asie puis les retransporter dans de nouveaux produits finis1.
Dans ce cadre, les flux de transport de matières premières sur de longues distances pourraient être amenés à diminuer, mais une logistique de proximité, à plus haute fréquence, devrait s’organiser : le Professeur Jacques Colin (CRETLOG) évoque à ce sujet une diminution du transport “quantitatif” et une augmentation du transport “qualitatif”.
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ECONOMIE DE LA FONCTIONNALITÉ, UNE LOGISTIQUE INTENSIFIÉE ET REVALORISÉE
L’économie de la fonctionnalité peut se définir comme la vente d’un usage ou service plutôt que celle d’un objet physique. En PACA, la société Isovation vendait des emballages isothermes. Aujourd’hui, grâce à des partenariats et à son expertise interne, elle propose plutôt une prestation garantissant des températures stables sur toute la chaîne de transport. L’économie de la fonctionnalité pourrait avoir un impact important sur la circulation des biens dans les villes, au-delà de la seule collecte des déchets, et aussi favoriser les mécanismes les plus productifs de l’économie circulaire : la réparation et la réutilisation.
■ L’offre des entreprises au consommateur
En termes de modèle commercial, l’entreprise peut privilégier la location ponctuelle. Ainsi, en Pologne, la moitié des magasins Castorama propose un service de location et on peut noter que tous ont un service de réparation.
Dans l’économie de la fonctionnalité, ne vendant plus des objets mais s’en servant comme outils de prestation de service, l’entreprise cherche par nature à les faire durer. Peuvent aussi être proposées la vente avec option de rachat ou une location / mise à disposition longue durée de l’objet, avec éventuellement un paiement au service : Xerox est un pionnier de cette approche, avec un service « à la copie ».
La mise à disposition d’un objet, ses retours à la base pour réparation et le retour définitif après utilisation font partie intégrante du service. Pour se développer sur le secteur des biens de consommation, l’économie de la fonctionnalité doit donc s’appuyer sur une logistique hyper-réactive et performante, avec une visibilité non seulement sur les stocks en entrepôts et en magasins, mais également sur le bien qui est « stocké » chez l’utilisateur avant sa réintégration dans les boucles de l’économie.
■ Le client chargeur : traiter les flux C2B et C2C
Le C2C* est en développement croissant, et participe à l’économie circulaire en favorisant la revente et la réutilisation d’objets. EBay, Amazon, Alibaba… les géants du net ne s’y sont pas trompés. Mais si ces acteurs majeurs et autres plateformes de mise en relation et de paiement ont pris une grande avance, la partie logistique reste perfectible.
Aujourd’hui déjà, le consommateur est peu enclin à faire la queue dans un bureau de poste pour expédier un colis, que ce soit pour une vente ou un retour. Il s’agit donc de rendre cet acte le plus « commode » possible. De nouveaux modèles sont donc appelés à se développer, du colis réutilisable pour un retour au service testé par la Poste permettant au particulier de déposer simplement le colis à expédier dans sa boite aux lettres.
Sans une prise de conscience du rôle fondamental de la logistique dans ce domaine, les business models de l’économie de la fonctionnalité risquent de stagner. Pour les acteurs de la logistique, ce serait aussi laisser passer une intéressante opportunité de croissance. Tous ces nouveaux flux devront également être intégrés dans les réflexions des collectivités locales.
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LE LEVIER LOGISTIQUE, ESSENTIEL À LA VIABILITÉ DE CES MODÈLES, RESTE PEU EXPLORÉ
Grace à de moindres gaspillages, l’économie circulaire promet une meilleure performance économique tout en protégeant l’environnement. Elle augure aussi la création de nombreux emplois axés autour du service et de la réparation. L’appareil de production actuel, lui, n’est pas voué à disparaitre mais à évoluer vers plus de remanufacturing et de retraitement des déchets. Ce modèle a donc de quoi séduire de nombreux acteurs.
Le 2 décembre 2015 la Commission européenne a d’ailleurs adopté un ensemble de mesures ambitieux sur l’économie circulaire, moyens financiers à l’appui (655 millions d’€ en innovation et recherche). Sont aussi attendues des actions d’harmonisation des méthodes de mesures (gaspillage alimentaire en particulier), de normalisation (sur les matières premières secondaires), et une proposition de révision de la législation sur les déchets. En France, les travaux de la Conférence nationale de la Logistique semblent également vouloir s’emparer du sujet.
Cependant, force est de constater que même chez les pionniers de l’économie circulaire, la logistique est encore trop souvent laissée de côté : il s’agit pourtant d’un levier essentiel pour mener à bien cette transition. Lorsque la logistique de l’économie circulaire est évoquée, on parle plus souvent de reverse logistics... Ce concept est-il vraiment adapté dans une dynamique circulaire ? Peu de prise de conscience également chez les logisticiens, et particulièrement les 4PL. On peut néanmoins souligner des précurseurs sur le sujet, notamment les travaux de Remy Lemoigne sur la reverse logistics et le remanufacturing. Mais quid de l’économie de la fonctionnalité ?
1CRET-LOG, travaux de thèse de A. El KorchiFace à une logistique urbaine en constante évolution, collaborer et expérimenter
La logistique urbaine étant désormais perçue par les acteurs publics et privés comme un champ de progrès et d’innovations, des projets technologiques et/ou organisationnels visant à la rendre plus efficiente voient le jour.
Cependant ces projets peinent parfois à se pérenniser, voire à se concrétiser. En cause, des freins conjoncturels et organisationnels, qui peuvent être levés par la collaboration et l’expérimentation.
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COLLABORER POUR BÂTIR DES SOLUTIONS PÉRENNES
Frein 1 : un manque de visibilité sur le cadre législatif, réglementaire, fiscal qui entoure la logistique urbaine.
Fiscalité appliquée aux carburants alternatifs, conditions et horaires d’accès au centre-ville… Autant de paramètres qui peuvent favoriser les entreprises vertueuses, ou décourager l’innovation. Il est donc fondamental d’organiser a minima une concertation permettant d’adopter des mesures qui seront environnementalement efficientes et économiquement viables. Il faut aussi donner aux acteurs privés suffisamment de visibilité pour faire évoluer leurs schémas, voire investir. Localement, les collectivités, les professionnels de la logistique et les commerçants sont des acteurs clés. A d’autres échelles, la démarche d’Etat des lieux de la logistique portée par le Cluster en Paca ou la Conférence Nationale sur la Logistique ont également initié une dynamique collaborative sur des questions de planification, infrastructures, législation, etc.
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EXPÉRIMENTER POUR AVANCER
Frein 2 : Un manque de données et retours d’expérience sur la logistique urbaine, en partie dû à son positionnement entre le public et le privé. Même en France, leader sur le sujet, il faut mettre en perspective les cinq Enquêtes Transport de Marchandises en Ville (TMV) réalisées à partir des années 90 avec les 98 Enquêtes Ménages Déplacements depuis 1976. Chaque ville présentant un contexte urbanistique et économique différent, toutes les solutions ne sont pas nécessairement transférables : les CDUs ou tram-fret en sont un bon exemple. De plus l’évolution rapide des modes de consommation peut rendre obsolète des observations datant d’il y a 10 ou 5 ans.
Si des modèles de simulation en logistique urbaine se développent1, ils restent des outils d’aide à la décision : tout projet de logistique urbaine comporte une grande part d’inconnu. L’expérimentation permet de lever cette barrière par un test en conditions réelles, puis de valider ou rectifier les projets mis en oeuvre. « L’expérimentation joue un rôle clé dans l’acceptabilité de la logistique urbaine » soulignent Diana Diziain (Grand Lyon) et Clémence Routhiau (Pôle LUTB)2. Elles précisent également que les expérimentations peuvent être très variées, notamment en termes d’innovation. Ainsi une expérimentation peut porter sur une mesure « classique », comme une limitation d’accès par horaire/type de véhicule, mais il peut aussi s’agir d’une innovation de rupture (par exemple les navettes de livraison urbaine fleuve-route effectuées à Paris).
Tout acteur peut porter une expérimentation – le privé (de la start-up au grand groupe, sans oublier les PMEs) comme le public (notamment les villes et agglomérations), ou conjointement via un projet co-construit, des appels d’offres ou appels à projets.
Ainsi, la ville de Paris en association avec Paris&Co a lancé un appel à projets d’expérimentations et sélectionné 22 projets sur des thématiques telles que la mutualisation des flux, le stockage et les consignes, les aires de livraisons, etc. L’objectif est de tester en situation réelle des propositions innovantes, les améliorer, et faire émerger des dispositifs reproductibles.
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QUELS FINANCEMENTS ?
Frein 3 : le manque de moyens financiers et humains. Coté prestataires, les marges souvent faibles de la distribution réduisent les possibilités d’affecter des ressources à d’autres activités que leur coeur de métier. Pour les collectivités locales, la logistique urbaine n’est pas un sujet politique prioritaire pour l’affectation du budget et du personnel, qui plus est en période d’austérité. Enfin, les canaux habituels de financement du public et du privé ne sont souvent pas adaptés aux expérimentations qui hybrident projet d’entreprise et mission d’intérêt public.
De nombreux outils de financements permettent néanmoins de surmonter cet obstacle : appels à projets locaux et régionaux, appels à projets ADEME, Fond Unique Interministériel, Bpi, mais aussi financements européens pour la recherche et l’innovation (Horizon 2020) et fonds territoriaux (Interreg). Pourtant, force est de constater que les acteurs français sont relativement peu présents au sein des consortiums internationaux dans ce domaine…
2 Présentation sur l’expérimentation en logistique urbaine, Conférence annuelle POLIS 2015, Bruxelles
Retour sur notre voyage d’études en Italie
Padoue, Bologne, Milan - 26-28 octobre 2015
En tant que centre de ressources, le Cluster Paca Logistique organise régulièrement des voyages d’études afin de tirer des enseignements des solutions innovantes de transport de marchandises implantées dans d’autres territoires. Ces visites et présentations favorisent aussi la construction de partenariats. En 2015, nous avons emmené une délégation d’acteurs publics et privés découvrir certaines des nombreuses initiatives en logistique urbaine et multimodalité présentes en Italie.
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PADOUE, VÉNÉTIE
■ Padoue, l’atout de l’intermodalité
Notre voyage d’études débute à la Chambre de Commerce de Padoue, où nous reçoivent Andrea Galeota, directeur Europe et projets spéciaux, Dr. Roberta Lazzeri, directrice projets européens et Eurocenter de l’Union des Chambres de Commerce de Vénétie (Unioncamere del Veneto) et Malvina Cerantola, chargée de mission de l’agence pour l’international Padova Promex.
La ville de Padoue (205.580 habitants) présente un tissu très dense de PME/ TPE (89.500 entreprises, à 60% individuelles et à 94 % de moins de 9 salariés) dont 30% sont des entreprises logistiques. Padova Promex leur offre un soutien dans leur processus d’internationalisation à travers des actions de promotion, des formations, et un support technique. Par ailleurs l’agence coordonne les services publics et privés allant dans ce sens.
Les Chambres de Commerce en Italie jouent un rôle prépondérant dans le tissu économique – elles tiennent d’ailleurs le registre officiel des entreprises, rôle qui revient en France au Tribunal de commerce. Elles sont rassemblées au sein d’un réseau national Unioncamere qui participe notamment à de nombreux projets européens INTERREG. Citons le projet ACROSSE (amélioration de l’accessibilité aux frontières pour l’intégration de l’Europe du Sud-Est) et SUSFREIGTH (problèmes environnementaux liés à la logistique causés par les goulets d’étranglement naturels entre les régions économiquement dynamiques de l’espace alpin).
Située à la croisée de 2 routes très importantes dès l’époque romaine (Rome-Venise et Turin-Trieste), Padoue a développé un bon réseau d’infrastructures de transport (canaux durant la domination vénitienne, routes et chemin de fer sous domination autrichienne).
De fait, même si cette ville n’a pas directement accès à la mer et si le port de Venise est peu exploité commercialement (Gênes a été privilégié), elle s’est positionnée comme un hub inter-régional pour le report modal. L’Interporto de Padoue, porté il y a une quinzaine d’années par la CCI, en est une illustration exemplaire.
■ Interporto Padova, un village de fret intermodal
Paolo Pandolfo, directeur immobilier de l’Interporto Padova Spa, nous décrit en détail cette structure privée à capital majoritairement public. La société exerce 3 activités : la gestion d’un terminal intermodal (fer-route) de marchandises possédé en propre, la location d’entrepôts (à des Gefco, Norbert Dentressangle, TNT…) et la gestion en direct d’entrepôts. 250.000 m2 d’implantations solaires sur toit lui permettent en outre de générer 12,3 MW contre 8 consommés. 4,4 millions de tonnes ont été manutentionnés en 2014 sur la plateforme (fer+entrepôts), constitués principalement de biens à haute valeur ajoutée provenant du Veneto.
Sur le million de m2 de foncier de la plateforme (dont 47% d’emprise ferroviaire) sont actuellement construits 270 000 m2 d’entrepôts, proposant des surfaces allant de 500 à 40 000 m2 et traitant 2,5 MT de marchandises. Les 90 entreprises implantées sont à plus de 70 % liées à la logistique.
Si tous les entrepôts sont connectés fer, tous les opérateurs ne l’utilisent pas. Malgré cela, l’InterPorto Padova met sur rail l’équivalent de 300 000 camions chaque année. 270 000 containers ont été manutentionnés en 2014 sur le terminal, + 8 % en 2015. Pour faire face à cette croissance, grâce à un appel à projet européen lié au corridor TEN-T, l’Interporto va remplacer les reachstackers par des portiques électriques.
■ Cityporto Padova, un CDU à l’équilibre
Cityporto Padova, filiale d’Interporto, est un Centre de Distribution Urbaine (CDU). Il effectue pour des opérateurs majeurs, tels que GLS ou Bartolini1 mais aussi d’autres clients (70 utilisateurs en tout), des livraisons dans Padoue ainsi que sur une zone thermale touristique. En 2014, plus de 94.000 livraisons ont été effectuées depuis le CDU. Grâce à des véhicules fonctionnant au GNC, il a accès 24h/24h au centre-ville, mais ne peut guère étendre sa zone d’activité hors zones réglementées. Comme de nombreux CDU, il se heurte aussi au problème de la multiplicité des systèmes d’information de ses clients : malgré le développement d’un software permettant de mutualiser certaines données, le livreur doit encore s’équiper des terminaux de chaque entreprise. Subventionné les 4 premières années, Cityporto est aujourd’hui à l’équilibre.
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BOLOGNE, EMILIE-ROMAGNE
Notre deuxième journée se déroule à la Fondazione Istituto sui Trasporti e la Logistica (ITL – Institut pour le Transport et la Logistique), avec Alberto Preti, directeur, Giuseppe Lupino, directeur projets européens, ainsi que Andrea Arcelli, de la Région Emilie Romagne (ER), Giorgio Ambrosino, directeur de Memex, et Melania Molini, directrice commerciale de Metrocargo Italia.
■ La Région Emilie-Romagne se veut une plateforme de collaboration en LU
La région ER est densément peuplée (4,4 millions d’habitants et 383.549 entreprises), avec une zone dite méga-urbaine composée d’un chapelet de villes proches.
Depuis 10 ans déjà la logistique est intégrée dans ses réflexions sur la mobilité et la Région n’hésite pas à s’appuyer sur l’Europe pour mener à bien des projets innovants.
Pour faire face aux enjeux de pollution liés à la mobilité (44 km de trajet moyen pour 66 minutes par jour, 67 % en voiture contre 7,3 % pour le transport en commun), la Région a mis en place dès 2004, avec 12 villes volontaires, un contrat sur la qualité de l’air incluant un volet logistique urbaine. L’approche sur ce sujet se veut incitative (co-financement2) et collaborative, chaque ville choisissant les mesures qu’elle juge adaptées à son territoire (infrastructures, réglementations, appui méthodologique aux acteurs, aide au remplacement des flottes polluantes…).
Au sein de l’institution régionale, une équipe de 5 personnes est dédiée à la thématique logistique urbaine, sans compter l’ITL avec qui ils travaillent étroitement. De nombreuses villes ayant mis en place des LTZ (low traffic zone, zones à accès limité), les deux structures ont coordonné en 2012 une démarche d’harmonisation des réglementations des villes de plus de 50.000 habitants. La Région mène actuellement des réflexions sur la maximisation de l’utilisation des infrastructures, notamment à travers la mixité fret-passager sur rail (autour de Bologne) ou par voie d’eau (Venise). Elle promeut par des incitations politiques et financières l’adoption de Plans de Déplacements Urbains (PUMS, Piano Urbano de Mobilita Sostenibile) et une approche volontariste commune en électromobilité3. Elle travaille également à l’instauration d’une autorisation unique de livraison valable dans plusieurs villes.
■ Fondazione Istituto sui Trasporti e la Logistica (ITL), expertise et montage de projets
ITL vise à contribuer au développement et à la promotion des systèmes de transport (dont passagers) et logistique en Emilie- Romagne à travers des activités de recherche, consulting et formations – dont des formations en logistique urbaine pour les techniciens des villes. L’institut fait aussi le lien entre les administrations publiques, les entreprises de la filière logistique et les organismes de recherche et formation. Fondée en 2003 en tant qu’agence publique (in-house agency) sur les transports et la logistique, la structure a évolué il y a trois ans vers le statut de société mais son capital reste détenu par la dizaine de collectivités fondatrices. Situé dans les locaux de la Région l’institut emploie actuellement 13 personnes et dispose d’un budget issu principalement de son expertise sur le montage et la conduite de projets, en particulier européens.
Sur la seule logistique urbaine, ITL a participé à 10 projets. Le projet Novelog réunissant 29 partenaires de plus de 10 pays, s’est décliné en Emilie-Romagne en plusieurs sous-projets dont l’analyse des business-models de CDU. À Bologne, il a donné lieu à en un travail sur la professionnalisation de la logistique urbaine4 et le test d’un outil informatique permettant aux commerces de proximité de se positionner sur le e-commerce et d’organiser des livraisons. Le projet Smile a développé l’utilisation du modèle d’estimation des données de logistique urbaine City goods, déjà opérationnel en Emilie Romagne. Le projet C-Liege a, lui, permis le travail d’harmonisation des réglementations d’accès aux LTZ, mené avec la Région.
■ Le Projet Enclose dédié aux villes historiques de taille moyenne
La société Memex, spécialisée dans le conseil aux collectivités locales, travaille depuis 20 ans sur des projets de logistique urbaine. Pour Giorgio Ambrosino, son directeur, il est vain d’espérer dupliquer les quelques modèles testés dans de grandes villes européennes à tout le territoire. Il n’y a en Europe que 21 villes supérieures à 1 million d’habitants, 201 au-dessus de 200.000 habitants et 1.364 entre 40 et 200.000 habitants !
Le projet Enclose s’est donc concentré sur 9 petites et moyennes cités méditerranéennes ayant un centre historique important, se divisant entre villes pilotes et villes d’application selon leur niveau d’avancement en logistique urbaine. La démarche incluait dès l’origine les acteurs économiques et privilégiait le test de mesures sans gros investissements financiers.
Parmi les leaders le cas de Lucca est représentatif : ville de 87.000 habitants, son centre historique aux rues étroites compte 1.400 magasins et reçoit plus de 2.000 livraisons/ enlèvements par jour. Dans le cadre d’un projet européen antérieur, la ville a mis en place un CDU de 900 m2, Luccaport, parallèlement à une réglementation contraignante et un contrôle d’accès au centre-ville. Il livre également des centres villes avoisinants et propose un éventail de services : zone de stockage déportée pour les commerçants, collecte des emballages et cartons vides, espace de consigne à bagages pour les touristes… D’une productivité assez variable selon l’entité le gérant, il vient d’être attribué à une société privée qui va devoir faire face à l’assouplissement en cours de la réglementation municipale.
Au démarrage du projet Enclose, portées par l’effet de mode, les six villes « suiveuses » voulaient mettre en place des CDU ; à son issue, seule Almada a décidé d’en mettre un en place.
Avec de nombreuses villes moyennes historiques, l’Italie est un terrain propice au développement de CDUs. Sienne, qui contrôle depuis 20 ans les entrées et sorties de marchandises et la durée de livraison et a imposé le tout électrique depuis 2 ans, dispose aussi d’un CDU privé (2.000 m2 dont du froid) qui est librement choisi par les opérateurs et traite environ 25 % des livraisons en ville (18 % pour Lucca) pour un coût variant entre 3 et 6 € (selon le poids, de 15 à 100 kg).
■ MetroCargo Italia : des solutions techniques innovantes d’intermodalité
MetroCargo Italia appartient au groupe I.LOG (INIZIATIVE LOGISTICHE S.R.L) qui regroupe plusieurs activités ferroviaires. En charge de la gestion des dessertes du port de Gènes, MetroCargo propose des services « porte à porte » en transport combiné. Elle relie ainsi par exemple la France et l’Italie (Miramas – Parme).
La société a développé avec Maersk une solution innovante de chargement /déchargement des containers rail-route avec des systèmes coulissants pouvant se positionner sous des caténaires. Les manoeuvres de passage de l’électrique au diesel sont ainsi évitées. La société travaille aussi sur le dernier kilomètre multimodal urbain, avec la mise au point de caisses multimodales pouvant passer directement du train au camion, le système de déchargement étant intégré à celui-ci.
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MILAN, LOMBARDIE
Pour notre dernière journée, nous sommes accueillis dans les bureaux de L’Agenzia Mobilità Ambiente e Territorio (Agence pour la Mobilité, l’environnement et le territoire) de la Ville par Valentino Sevino, directeur planification et mobilité.
■ Agenzia della Lombardia Orientale per i Trasporti e la Logistica (ALOT )
Matteo Brambilla, senior manager à ALOT, nous présente l’Agence de la Lombardie Orientale pour le Transport et la Logistique, qui comme ITL était une agence in-house et est aujourd’hui une société privée au capital public portant des actions de conseil et de recherche.
Incubateur, développeur et gestionnaire de projets pour une mobilité durable, ALOT est particulièrement actif sur le report modal vers le ferroviaire. Si une vraie politique publique est indispensable pour avancer dans ce domaine, les besoins des acteurs privés doivent bien être pris en compte pour qu’elle fonctionne ; ALOT travaille particulièrement sur cette mise en cohérence public-privé. L’agence mène également un projet pilote testant la mixité du transport fret et passager par la voie d’eau.
En Italie, comme en France, les fonds publics se tarissent : ALOT se tourne donc largement vers les projets européens pour financer des projets de transports (15 projets en 7 ans), en particulier les fonds INTERREG, destinés aux territoires.
■ A Milan, une approche intégrée de l’aménagement et des mobilités
La Ville de Milan compte 1,3 millions habitants, auxquels s’ajoute chaque jour 1 million de city-users. L’aire urbaine compte, elle, 3,2 millions d’habitants. Cette population a généré 5,7 millions de trajets journaliers en 2014 dont 56 % dans Milan.
L’Agenzia Mobilità Ambiente e Territorio (Agence pour la Mobilité, l’environnement et le territoire) est le bras technique et scientifique de la Ville de Milan. Ses thématiques vont de l’aménagement aux questions de mobilité des personnes et des marchandises, ce qui lui permet d’avoir une vision et surtout une action globale sur ces enjeux.
En termes d’aménagement, depuis 15 ans la Ville rénove d’anciens sites industriels. L’un de ces projets, baptisé « Railway Yard », concerne l’aménagement de 1.250.000 m2 d’anciens site ferroviaires répartis dans la ville, pour en faire des quartiers mixtes comprenant logements, activités tertiaires, bureaux et parcs, tout en préservant des espaces dédiés à la logistique urbaine.
Avec un taux élevé de motorisation (51 voitures pour 100 habitants5) 58% des déplacements en zone urbaine de Milan s’effectuent en voiture contre 37% en transports publics. Grâce à une politique volontariste, la municipalité a pu inverser ces chiffres pour le centre-ville et souhaite réduire de 30% le taux de motorisation en 2023.
Le premier outil pour cela est un bon maillage en transport en commun (4 lignes de métro, 12 de trains de banlieue, 117 de bus et 22 de tram ou trolley bus). Les zones piétonnes et les zones limitées à 20 km/h ont été progressivement étendues pour couvrir respectivement 530.000 m2 et 454.000 m2 en 2014, en parallèle d’une extension des pistes cyclables pour atteindre 180 km (en partie prélevées sur les 300.000 places de stationnement à 42 % payantes). Actuellement Milan compte aussi 2.000 voitures en autopartage.
Si le précédent PUMS avait une forte composante infrastructure, le nouveau PUMS en phase finale de validation, élaboré en temps de crise, privilégie des mesures dites « douces » (soft measures) agissant sur les comportements et favorisant la mobilité active.
Péage urbain : pour les transporteurs, un coût compensé par les gains en productivité.
Une des mesures phare de la mobilité à Milan est Area C, une zone correspondant au centre-ville historique soumis à un péage urbain6. Les 43 points d’accès sont contrôlés par caméra, et tout véhicule souhaitant accéder au centre-ville doit payer 5 €7.
Ce péage urbain a été mis en place progressivement depuis 2008, sur la base de la motorisation du véhicule (Euro, III, IV, V…). Aujourd’hui les véhicules électriques circulent gratuitement, et les hybrides jusqu’en 2017.
Le péage s’applique également au transport de marchandises. Cependant, les logisticiens enregistrés bénéficient d’un tarif à 3€, ou à 5€ avec 2 heures de parking gratuit en zone bleue (400 aires de livraison en Area C). Si les transporteurs étaient dans un premier temps fermement opposés au projet, aujourd’hui ils appuient largement ce péage qui, par la fluidification du centre-ville, leur aurait permis d’augmenter le rendement de leurs opérations (+ 10 % de productivité).
Les infrastructures de vidéo contrôle d’Area C constituent un avantage important : ailleurs en Lombardie des restrictions existent aussi pour les camions les plus polluants dans de nombreuses villes mais les contrôles s’avèrent trop ponctuels pour être dissuasifs. Le ministère Italien des transports suit donc le projet milanais avec attention.
La gestion des flux du marché de gros SOGEMI implanté en centre-ville
La ville de Milan se caractérise par la présence en centre-ville d’un marché de gros alimentaire, SOGEMI (équivalent à un Marché d’intérêt national français) qui dessert aussi le nord de l’Italie et le sud de l’Allemagne.
Après de longs débats, il a été décidé de maintenir en ville cette infrastructure majeure (333 camions en entrée et 879 clients journaliers), desservie par un couloir routier spécifiquement défini. Un parking extérieur à la ville a été créé afin d’accueillir les chauffeurs qui arrivent tard le soir. A long terme, un parking tampon devrait aussi être mis en place à l’entrée de la ville, à proximité de l’autoroute, afin de gérer par rendez-vous l’entrée des camions vers SOGEMI. Un raccordement du marché aux voies de fret ferroviaire est également envisagé : seul 1 km de voie est manquant.
Professionnaliser le transport, un enjeu majeur
S’il est quasiment impossible de contrôler, donc de réglementer le taux de charge en soi, la professionnalisation agit en ce sens. À Milan, il est estimé que la logistique urbaine représente 12% des trajets et 27% des émissions de polluants dus au trafic routier. Or aujourd’hui, 69% des transports de marchandises se font en compte propre, donc sont souvent non-optimisés et effectués avec de vieux véhicules.
Pour M. Sevino « le transport professionnel de marchandise est à la logistique urbaine ce que les transports publics sont au transport de personnes ».
À titre d’exemple, de nombreux commerces du centre-ville s’approvisionnent au SOGEMI et, ne passant par les points d’accès, ne sont pas concernés par le péage urbain. L’implantation d’un CDU public avait été envisagée en 2001 mais la mairie ne peut obliger les entreprises à l’utiliser. Une piste d’action pour les pousser à faire appel aux services de livraison du SOGEMI (et éventuellement faire naitre des CDU privés) serait de leur interdire l’accès direct au MIN, en mettant en place un parking extérieur à partir duquel les commerçants devraient aller chercher à pied les marchandises.
Autre exemple : l’area C comporte 400 places de livraison : à terme, la ville de Milan souhaiterait toutes les contrôler par des caméras reliées au même centre de contrôle. Les associations de transporteurs sont prêtes à cofinancer cet investissement (via une redevance annuelle pour leur utilisation) si la mairie s’engage à augmenter les aires de livraisons et les réserver au seul usage des professionnels. Ces nouvelles aires de livraison seraient dessinées sur d’anciens parkings en zone bleue, sous utilisés depuis la mise en place d’Aera C.
Soutenir des expérimentations
La Ville de Milan participe au projet européen sur la livraison en électrique FREVUE. Son expérimentation, en partenariat avec DHL et la plateforme Eurodipha, concerne les produits pharmaceutiques. En effet ces flux sont très diffus avec des émissions très élevées rapportées au volume de marchandise transporté (plusieurs micro-livraisons par jour à chaque pharmacie).
D’ailleurs notre interlocuteur signale que s’il n’y a pas actuellement de réglementation des horaires de livraison, une réglementation est envisagée, qui pourrait être déclinée grâce aux TIC par type de filière logistique afin de mieux lisser les flux. Un effort particulier va aussi être porté sur le développement de consignes automatiques et points-relais.
Nous remercions tous les intervenants de ce voyage pour leur accueil et le partage précieux de leurs expériences, ainsi que nos participants pour leur implication dans ces échanges.
Un grand merci également à Sara Sacchetti, de la CCI Italienne à Marseille, pour son aide précieuse avant et après le séjour.
1 Entreprises de distribution alimentaires. Cityporto ne vise pas les fl ux des expressistes, dont la distribution du dernier kilomètre le coeur de métier.
2 En 2014, la Région a ainsi abondé, à hauteur de 3,5 M€, des projets en logistique urbaine mobilisant 12 M€.
3 Ainsi la carte commune de transport sert aussi pour les points de recharge électriques, qui ont été harmonisés.
4 Le compte propre, très répandu en ER, constitue un enjeu majeur en termes de pollution de par sa sous-optimisation : 10 colis par véhicule en moyenne contre 80 à 90 en prestation.
5 A titre de comparaison, le taux de motorisation est de 48 % à Madrid mais de 31 % à Londres et 25 % à Paris.
6 Accès payant de 7h30 à 19h30 sauf le jeudi de 7h30 à 18h. 7 Les résidents du centre-ville ont droit à un « forfait » de 40 accès gratuits par an… qui suffit à 80 % des personnes, les 20 % restants devant ensuite s’acquitter d’un péage de 2 €.
Le crowdshipping
Si de nombreux changements exogènes font évoluer la logistique, celle-ci connait en outre de fortes mutations internes. A la recherche de plus d’efficience, la supply-chain s’améliore constamment, des véhicules au pilotage des flux. Mais des innovations de rupture apparaissent aussi, cherchant à repenser autrement l’ensemble de la supply-chain plutôt que d’optimiser l’existant. Utopistes ou visionnaires ? Elles portent à réflexion et permettent de regarder différemment nos usages.
- LE CROWDSHIPPING : TOUS LIVREURS
« La consommation collaborative dans son acception commune désigne deux phénomènes concomitants : la désintermédiation permise par les nouvelles technologies et la notion d’usage d’un service ou d’un bien chez le consommateur qui prédomine sur la propriété traditionnelle » (http://droitdupartage.com). Après AirBnB et Uber, l’économie collaborative atteint le monde de la logistique. Surfant sur la vague de l’omnicanal, de nombreuses startups se positionnent sur la livraison collaborative ou crowdshipping, termes qui recouvrent des modèles et des marchés variés. Un point commun : avec des outils numériques de gestion des données et d’optimisation, ces modèles font appel au particulier pour effectuer des transports, et cherchent à tirer parti d’une utilisation intelligente de l’existant (stocks en magasins, flux de logistique urbaine, déplacements des individus, etc).
■ Derrière le concept, de nombreux modèles
Postmates, fondé par Bastian Lehman à San Francisco en 2011, est un pionnier de la livraison collaborative. Au-delà de la simple livraison, Postmates propose aux commerces locaux une véritable plateforme de vente en ligne. Le principe est simple : le client commande sur cette plateforme, avec la possibilité d’une commande en texte libre si les références ne sont pas enregistrées. Le système sélectionne ensuite un postmate disponible et lui propose la course. Les commandes arrivent généralement en moins d’une heure, pour un prix plancher de 5$, souvent le triple.
Autre entreprise notable dans ce domaine aux Etats- Unis : Deliv, qui propose son service de livraison le jour même via le site internet du commerçant. Deliv a également testé un système de rendez-vous, pour offrir à ses clients « le choix et la commodité ».
Ces deux modèles, orientés consommateurs ou commerçant, se retrouvent aussi en France. Sur un modèle similaire à Postmates, Tok Tok Tok propose depuis 2013 de faire acheter, puis livrer dans Paris et sa proche banlieue tout type de produits, 24/24h et 7/7 jours, en moins d’une heure. Coûtant de 10 à 15 euros, le service est réalisé par un runner dont on peut suivre le parcours en temps réel. Ce service a suscité l’intérêt des commerçants, débouchant sur des partenariats avec des commerces locaux mais aussi avec des enseignes telles que Fnac, Monoprix, Etam, Office Dépôt, etc.
Drivoo (meilleure startup de e-commerce 2015) se positionne sur les livraisons courtes intraurbaines au service des commerçants. Le modèle se veut surtout écologique, optimisant les déplacements quotidiens préexistants de personnes privées, et créateur de lien social. L’entreprise, lancée à Toulouse, compte actuellement 3000 drivers inscrits et 70 magasins enregistrés.
Les exemples de startups sur le sujet ne manquent pas : Kangooz, You2you, Dacopack… Le modèle existe aussi pour de plus longues distances : Colis-Voiturage se positionne sur des trajets interurbains avec des colis pouvant dépasser 30 kg, et Piggy Bee est tourné vers les trajets internationaux, en particulier aériens.
Le crowdshipping n’est pas nécessairement en concurrence avec les logisticiens traditionnels.
Ainsi Wing se positionne sur le premier kilomètre. Le client prend en photo le bien à envoyer, qu’un Wing hero vient collecter, prenant en charge l’emballage ; le transport lui-même sera réalisé par un opérateur professionnel (La Poste, DHL, UPS) choisi par le client. Dès 2011, DHL expérimente en Suède le système My Way, remettant les colis arrivés en point relais à des particuliers pour effectuer le dernier kilomètre. Si DHL fournit l’application, le prix est établi entre particuliers sur un logique d’offre et de demande : ainsi pour un colis urgent, le site internet recommande de proposer une rémunération haute.
A travers Geopost, Le Groupe La Poste a investi 10 millions d’euros dans la startup Stuart.
Cas particulier, Deliveree fonctionne sur les principes du crowdshipping, mais puise ses ressources transports auprès de livreurs professionnels (exerçant une fonction de commissionnaire de transport urbain, en quelque sorte). Il s’agit aussi d’une plateforme de mise en relation appuyée sur des outils d’optimisation qui lui permettent de proposer une livraison de proximité en 90 minutes et à moindre coût. L’entreprise ne possède aucun camion, mais un réseau de professionnels de la logistique urbaine, et un positionnement visant en priorité les enseignes.
■ Des implications à prendre en compte
Du point de vue du développement durable, il y a de nombreux avantages à chercher une utilisation maximale des capacités existantes de transport. Sur l’aspect qualité de vie, l’économie collaborative permet également de développer des offres complémentaires se positionnant sur des niches non couvertes par le marché actuel. Ce peut être aussi une prestation similaire, mais avec un niveau de service différent, permettant à un plus grand nombre d’y accéder. De nombreuses initiatives mettent également en avant la création de lien social. Cependant des questions sociales et juridiques se posent.
En droit du travail, si la sous-traitance est déjà largement répandue en logistique, les questions juridiques sont plus fortes dans l’économie collaborative. Le 10 mars 2015, la Commission du Travail de Californie a donné raison à un chauffeur d’Uber reconnaissant que celui-ci n’était pas un travailleur indépendant mais bien un salarié, vu les règles strictes imposées et le prix fixe payé directement à Uber dont le chauffeur ne touche qu’une partie via une commission, non négociable. Une question fiscale se pose également. Les sous-traitants sont, normalement, des entreprises enregistrées ; dans le cas de la livraison collaborative, les limites mêmes de l’activité économique sont floues. Sur ces questions, Drivoo veut éviter la professionnalisation, qui ne correspond pas à son modèle, et rémunère ses drivers exclusivement en bons d’achats locaux2, avec un plafond par mois. Tok Tok Tok au contraire intègre la professionnalisation : si l’activité constitue une part substantielle des revenus du runner, celui-ci doit passer au statut de runner pro3 constitué en auto-entrepreneur.
Le niveau de service est également un point ouvert à débat. L’image des acteurs traditionnels sur ce point n’est pas toujours flatteuse, et le quotidien 20 minutes va jusqu’à affirmer que « la plus-value des livreurs non-professionnels est leur capacité à être ponctuel, précautionneux et arrangeant sur les horaires4». Une explication avancée : les livreurs dans ce type de schéma sont notés par les usagers, donnée qui peut fortement influencer les commandes futures ou, dans le cas de Postmates, le pourboire voire la commission touchée. Cependant un service professionnel offre des garanties : dans le cas du crowdshipping, celles-ci sont très inégales. Ainsi, si Drivoo a une assurance permettant de couvrir les dommages aux colis, Dacopack « repose sur la confiance »…
Enfin, ces modèles oscillent entre l’idée de promouvoir une économie collaborative, au sens communautaire d’échanges de services, et des cas qui peuvent dériver vers une sous-traitance à l’extrême avec une précarisation de salariés… non reconnus comme tels !
Comme toute innovation de rupture, le crowdshipping met en avant de nombreux avantages, mais comporte des menaces. Pour les entreprises, ce peut être l’occasion d’améliorer certaines pratiques et se positionner sur des demandes non couvertes. Pour les pouvoirs publics, il s’agit de composer avec ces modèles : tirer parti des opportunités sociales et environnementales qu’ils peuvent offrir, tout en légiférant pour encadrer ces nouvelles pratiques et protéger les citoyens.
Les questions qu’ils soulèvent ne mettent-elles pas avant tout en exergue la non-cohérence de certains de nos outils d’analyse, juridiques, sociaux ou économique, à l’heure de l’économie numérique ?
Vers un système logistique global : l’internet physique ?
Les progrès des technologies de l’information et de la communication en traçabilité, dématérialisation des informations pilotant les flux de marchandises, standardisation des normes de communication, etc. permettent d’améliorer toujours plus l’efficience des supply chains, en terme de coûts, de performance et d’impact environnemental. Les contenants, infrastructures et moyens de transports ont également progressé.
Mais si chaque supply-chain s’améliore, des gains considérables pourraient être faits en cherchant à optimiser l’ensemble du système logistique mondial plutôt que chacune de ses parties.
C’est l’objectif du concept d’Internet Physique : connecter physiquement et en flux d’information tous les réseaux logistiques pour former un système global, ouvert et interconnecté.
Celui-ci s’appuierait sur plusieurs éléments :
- des contenants standardisés de différents formats, modulables et traçables (π-containers)
- des hubs ouverts où ces conteneurs seraient réorganisés et redirigés selon les moyens de transports disponibles,
- des moyens de transports partagés reliant chaque hub,
- des protocoles de communication communs, permettant une transmission fluide d’information entre π-containers, gestionnaires de hubs, prestataires de transports, chargeurs et destinataires.
Les fondements théoriques sont posés, et les premières estimations sont prometteuses. Selon des simulations basées sur des données logistiques réelles fournies par Casino et Carrefour, les distances parcourues pourraient être réduites de 15%, et les besoins en stocks de 30%. La participation de ces grands groupes « faiseurs de logistiques » montre que le concept séduit largement au-delà du seul cercle de la recherche. De fait, l’implication de ces entreprises, et d’autres multinationales comme Nestlé et Procter & Gamble, apporte un poids considérable aux recherches dans ce domaine.
Reste encore à traduire l’idée en solutions techniques et organisationnelles. De nombreuses expérimentations sont en cours, progressant en parallèle sur les différentes « briques » qui constitueraient l’Internet Physique : prototypes de π-conteneurs, protocoles de partage d’information per-mettant de protéger les données sensibles, hubs multimodaux partagés…
La gouvernance globale d’un tel modèle serait très complexe : celle-ci pourrait se décliner en sous-modèles variés dans différents pays.
■ La logistique urbaine interconnectée
Au niveau urbain, l’internet physique inclut des réflexions sur l’utilisation des transports en commun et le crowdshipping. Cependant les véritables implications que pourrait avoir ce modèle sur la logistique urbaine commencent à peine à être étudiées, notamment sous le concept de logistique urbaine interconnectée développé par Teodor Gabriel Crainic et Benoit Montreuil. Ces réflexions déclinent les principes de l’internet physique, passant d’une organisation opérateur par opérateur à un système ouvert avec, au sein même des villes, des hubs logistiques connectés par des infrastructures multimodales.
Parmi les éléments clés avancés, notons celui d’architecture de ville-réseau et celui de mobilité interconnectée des personnes et des marchandises. « Certains corridors et prestataires ont des plannings fixes tel le transport de type ferré. D’autres ajustent leurs trajets, modes et horaires de manière dynamique à la demande qui émerge du web logistique5». Au-delà de la mixité du transport fret-passager avancée, qui appelle à être encadrée, on voit apparaitre l’intérêt pour les villes d’avoir des systèmes d’informations poussés couvrant à la fois le transport de passagers, les données de circulation, et les données de transport de marchandise, afin d’optimiser au mieux l’ensemble des moyens physiques de transports.
Certaines questions ne sont pas encore abordées. Audelà de la capacité de transport disponible, la logistique urbaine inclut des paramètres de qualité et de service, donc un facteur humain. Comment l’intégrer dans un tel modèle ?
Ces réflexions peuvent paraitre lointaines, mais pour les membres de la Physical Internet Initiative, la mise en oeuvre de l’internet physique se pense à l’horizon 2050.
2 Ce qui vise également à redynamiser le commerce de proximité
3 Tok tok tok affiche une rémunération pouvant aller jusqu’à 25€ de l’heure.
4 Colivreur, le métier de demain, publié le 15/07/2015, www.20minutes.fr
5 Crainic, T., Montreuil, B., Physical Internet Enabled Interconnected City Logistics, www.fsa.ulaval.ca/sirul/ 2015-003.pdf
Pour plus d'information sur le Cluster PACA Logistique et ses publications, visitez le portail : www.cluster-paca-logistique.com