Les Interviews de FAQ Logistique > L'éco-taxe poids lourds ITW Patrice SALINI
‘‘J'aurais préféré un dispositif d’Eco-taxe unifié regroupant les grands pays du cœur de l’Europe’’ |
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FAQ Logistique a décidé d’apporter quelques éclaircissements au sujet de l’Eco-taxe pour les poids lourds. Eco-taxe qui rentrera en vigueur en Juillet 2013 sur le réseau routier national et le réseau local susceptible de subir un report de trafic (taxe poids lourds nationale, dite TPLN) et un peu plus tôt (Avril 2013) sur le réseau routier Alsacien.
Pour
ce faire, FAQ Logistique s’est appuyé
sur Patrice SALINI, économiste
et consultant indépendant expert des sujets
transports.
Pour introduire
l’interview de Patrice SALINI, nous vous
proposons quelques extraits du portail officiel
de la Direction générale des douanes
et droits indirects. Ceux-ci présentent
les objectifs et modalités de la mise en
place de cette nouvelle taxe.
«
Conformément aux conclusions du Grenelle
de l'environnement, l'éco-taxe poids lourds
a pour objectifs de :
-
réduire les impacts environnementaux du
transport routier de marchandises en favorisant
les autres modes de transport grâce à
un mécanisme de répercussion de
la taxe sur les chargeurs ;
- rationaliser à terme le transport routier
sur les moyennes et courtes distances ;
- financer les nouvelles infrastructures nécessaires
à la politique de développement
intermodal des transports
».
Dans la pratique, les véhicules devront être équipés d’un GPS permettant l’enregistrement des données nécessaire au calcul de l’assiette de la taxe. Le réseau routier comptera environ 4100 points de tarification (virtuels). « Le passage par ces points sera détecté par géolocalisation à l’aide du GPS. A chaque point de tarification est associé une section correspondant à la distance entre deux intersections (nombre de kilomètres associés à ce point). Cette distance constitue l’assiette de la taxe ». Par la suite, un taux kilométrique sera défini en fonction de la catégorie du véhicule, son niveau de pollution, la zone géographique et du niveau de congestion explique la Direction générale des douanes et droits indirects.
Interview à Patrice SALINI
26 Octobre 2012
Quels bénéfices peut-on en attendre pour le trafic et l'environnement ?
Patrice
SALINI : C’est tout le problème.
Cette « taxe » est une taxe d’usage
dont l’objectif principal est de financer
l’agence (l'Agence de financement des infrastructures
de transport de France) qui supporte une grande
partie des investissements de l’Etat en
infrastructures de transport. Le trou laissé
par la privatisation des compagnies d’autoroutes
devait être comblé. Bien entendu
sa justification est fondée sur l’idée
que les PL paient l’usage des infrastructures
sur les autoroutes à péage, mais
pas sur les autres routes, réputées
gratuites. Le calcul consiste à comparer
les coûts – y compris externes –
aux recettes – y compris la fiscalité
spécifique. Et là on a pris l’option
de ne taxer que l’ancien réseau national
et quelques voies à grandes circulation.
Donc pour résumer, on a construit un système
qui ne répond pas véritablement
à l’objectif puisque toutes les voies
ne sont pas prises en compte.
Sur le papier l’impact d’une taxe
kilométrique n’est pas négligeable
(1,2 milliards € en année pleine environ)
? Mais elle n’aura pas le même impact
partout en raison même des choix passés
de l’Etat (absence de péage dans
certaines zones), et de l’activité
menée par les firmes. Ainsi, le transport
régional ou local sera-t-il proportionnellement
plus impacté que le transport à
longue distance. Mais l’incidence de la
taxe sur l’environnement sera négligeable.
L’expérience de la Maut allemande
l’a montré assez nettement. Pas de
transfert modal, un peu de rationalisation des
transports, et sans doute une incitation indirecte
à bricoler des plans de transport régionaux
évitant les itinéraires taxés.
Quelle part du coût global de transport représentera-t-elle pour les transporteurs ?
On attend 1,2 milliards €,
ce qui, relativement au trafic global des véhicules
de plus de 3,5 tonnes de PTAC – 30 à
35 milliards de véhicules.km - est globalement
relativement modeste. Le taux moyen de taxation
– disons 0,14€/km – représenterait
mécaniquement donc une incidence de l’ordre
de 0,04€/km en moyenne. C’est loin
d’être négligeable, mais ce
sera mécaniquement très inégal
selon les activité et le hasard des parcours,
des tournées etc.. Sans compter bien entendu,
aussi bien pour le transport public que le compte
propre les coûts d’équipement
et de management découlant de l’introduction
de l’Eco-Taxe. Certains transporteurs parlent
d’une fourchette de 0 (ou presque) à
14 %.
Le problème c’est que l’introduction
de la taxe complique encore la vie des transporteurs,
dont certains comme les membres de l’OTRE
expliquent à raison qu’il auait été
plus simple de taxer tout le réseau.
Quels seront les impacts de la mise en place de l'écotaxe poids lourds sur les transporteurs ?
Comme je l’ai dit, le côté usine à gaz était en cause. Il semble que ce soit en voie de règlement. La méthode est discutable. Le coût de prélèvement est important. 20 % environ c’est cher ! Sans compter les frais engagés par les transporteurs. Quant à la logique elle est battue en brêche. Ni véritable droit d’usage, ni véritable taxe environnementale – puisque discriminatoire en ne s’appliquant pas à l’ensemble du réseau théoriquement concerné – la taxe est également un nouveau problème à gérer dans les rapports avec les clients. Ce qu’une taxation générale aurait permis d’éviter. Et elle aurait été possible à condition d’intégrer les autoroutes à péages dans un dispositif global, et surtout le reste du réseau.
Quels seront les impacts de la mise en place de l'écotaxe poids lourds sur les chargeurs ?
Deux choses. 1. Les chargeurs –
qu’ils passent par des transporteurs ou
transporteur eux-même – auront à
acquitter théoriquement 1,2 milliards de
taxe incluses dans les facturations de leurs prestataires
ou dans leur coûts.
2. On peut imaginer qu’ils essaient d’en
limiter l’impact, négocient, fassent
pression, invitent à l’optimisation
des trajets, etc.. Bien entendu les chargeurs
de produits de peu de valeur à la tonne
ou au m3, trouveront la facture un peu lourde,
et seront d’autant plus attentifs à
des solutions permettant de diminuer l’impact
de la taxe (parcours, taux de chargement, etc..).
Bien entendu, comme en Allemagne, le réseau
taxé s’adaptera au trafic…
ce qui rendra ces calculs souvent très
fragiles.
Certains misent tout autant sur un impact psychologique.
Si le transport doit devenir de plus en plus cher
par route et prendre en compte son empreinte carbone…
il faudra bien travailler à des modèles
plus « durables ». De ce point de
vue l’impact global est positif.
Quelles mesures devront prendre les transporteurs pour y faire face ?
Investir pour payer moins. Optimiser. Bref, continuer à faire ce qu’ils font.. et si possible de mieux en mieux.
En conclusion, votre avis sur cette taxe, son efficacité et son impact sur la filière
J’ai exprimé dès l’origine mes doutes tout autant par rapport à l’expérience allemande que son adaptation française, qui a le défaut au surplus de se surajouter au système de péages autoroutiers français. J’aurai préféré, tant qu’à faire, un système global intégrant toutes les voies publiques et fondé à la fois sur les coûts d’usage directs et des coûts externes, et donc sur les émissions des véhicules. Des principes simples appellent des dispositifs simples, homogènes, cohérents et justes. On en est loin. C’est pourquoi, j’aurai préféré également un système européen, et à défaut d’un système à 27, un dispositif d’Eco-taxe unifié regroupant les grands pays du cœur de l’Europe. Un ensemble regroupant le Benelux, l’Allemagne, la France, l’Italie et la péninsule Ibérique, auquel on aurait peut-être pû ajouter la Tchéquie, la Hongrie, la Slovaquie, voire la Pologne aurait eu une cohérence réelle. Je ne suis pas certain qu’on aie véritablement cherché à construire un tel outil européen. Face à un marché unique, on pourrait s’attendre à ce qu’on procède en recherchant une régulation unique. Ca n’est pas le cas hélas.
Ressources complémentaires
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