Publications > Cluster PACA Logistique > Flow n°28 : Maroc : une stratégie nationale logistique offensive
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L’Association Marocaine pour la Logistique (AMLOG) a organisé le jeudi 23 mai 2013 à Casablanca une journée sur la logistique urbaine: « Logistique Urbaine : les enjeux sociaux, économiques et environnementaux », avec la participation de cinq pays : Algérie, Belgique, France, Maroc et Pays-Bas. Cette journée visait à présenter aux participants les enjeux de la logistique urbaine, lever le voile sur ses impacts socio-économiques et exposer les expériences étrangères ayant enregistré des résultats positifs.
Ces dernières étant, nous l’espérons, connues des lecteurs des publications du Cluster Paca Logistique, nous n’évoquerons pas ici les très intéressantes présentations de Daniel BOUDOUIN, consultant et expert en logistique urbaine Jonction et CRET LOG, de Jean Louis FOESSEL, Vice-président d’AFILOG (association française de l’immobilier logistique) et du Docteur Roel GEVAERS, Professeur à Université d’Anvers.
Nous
nous focaliserons sur l’un des enjeux majeurs
de cette journée : attirer l’attention des décideurs
publics sur la nécessité de bâtir et mener à l’échelle
des agglomérations une politique tout aussi volontariste
que celle engagée par le Royaume du Maroc en ce
qui concerne les « grands flux » internationaux
et nationaux.
Cela
nous permettra tout d’abord de montrer quelle
stratégie logistique offensive a été définie
par le Royaume marocain à l’échelle nationale,
avant de mettre en exergue les défis posés à la
logistique urbaine par l’organisation actuelle
de la distribution, le déve-loppement parfois
anarchique des villes dans des pays en forte croissance
et la cohabitation parfois délicate entre la ville
et son port.
Il est intéressant, à l’issue de cette journée, de constater une fois encore que, si les infrastructures et le foncier sont un facteur clé pour une logistique urbaine efficiente et durable, le travail sur la gouvernance est primordial... et des plus problématiques.
MAROC : UNE STRATÉGIE NATIONALE LOGISTIQUE TRÈS AMBITIEUSE
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Un rôle reconnu comme stratégique pour la compétitivité nationale
La logistique, les technologies de l’information et de la communication, et les transports constituent un ensemble perçu comme stratégique pour le tissu économique marocain qui, dans le cadre de la mondialisation, nécessite une mise à niveau des entreprises, des infrastructures et des institutions et la rationalisation de la gestion industrielle et des services.
En effet, comme l’indique le document officiel publié en 2010 synthétisant « la stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique », la performance du secteur dans son ensemble est actuellement à un stade intermédiaire, caractéristique des pays émergents, avec un fort potentiel de développement, une offre de services logistiques encore variable en termes de coût, de qualité, et de délai, une demande des opérateurs en moyenne peu sophistiquée, et un manque d’infrastructures spécialisées sur certains flux.
Afin de poursuivre le processus de renforcement de la compétitivité de l’économie nationale, à l’export et à l’import comme en interne, les autorités marocaines se sont donc fixées comme priorité la compétitivité logistique des entreprises, avec aussi pour objectif de positionner le Maroc comme le hub logistique entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.
Une stratégie nationale logistique pour le développement de la compétitivité logistique a donc été élaborée pour la période 2010 - 2015. Pour la mettre en oeuvre, une agence nationale (Agence marocaine de développement de la logistique - AMDL) a aussi été créée ; ceci afin d’assurer la coordination et la mise en oeuvre au niveau national des importants projets prévus, qui pourraient pâtir de la multiplicité des intervenants et de leurs prérogatives (administrations, collectivités locales, acteurs économiques...).
Cette stratégie nationale logistique vise à réduire les coûts logistiques du Maroc (baisse du poids des coûts logistiques / PIB de 20 à 15% à l’horizon 2015), accélérer la croissance du PIB par l’augmentation de la valeur ajoutée induite par la baisse des coûts logistiques (+ 3 à 5 points attendus du PIB à l’horizon 2015) et faire du secteur logistique un acteur du développement durable du pays, à travers la réduction des nuisances (baisse du nombre de tonnes/kilomètres de 30% à l’horizon 2015, réduction des émissions CO2 de 35% à l’horizon 2015, décongestion des routes et des villes).
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Cinq axes de progrès pour la filière logistique marocaine
Le
point clé de la stratégie nationale logistique
est le développement d’un réseau national intégré
de zones logistiques multi-flux (ZLMF) à travers
la mise en place d’un Schéma National Intégré,
qui consiste en des zones d’activité logistique
regroupant un ou plusieurs types de plateformes
(5 PF conteneurs, 20 PF de distribution et sous-traitance
logistique, 14 pour l’agro-commercialisation,
17 PF de matériaux de construction, 13 plateformes
céréalières). Le foncier prévu à identifier et
à mobiliser par l’Etat pour la concrétisation
de ce Schéma National est de 3.300 ha dont 2.080
à l’horizon 2015. Il est à noter qu’à terme, la
création de ces nouvelles zones permettra la relocalisation
des entrepôts des centres villes supérieurs à
4 ha.
L’optimisation et la massification des flux de
marchandises doivent aussi être encouragées, via
notamment la signature de contrats sectoriels
(céréales, flux énergétiques, agriculture).
Au vu des données actuelles (10 à 15 logisticiens
essentiellement internationaux ; au minimum 70%
de TRM en compte propre actuellement et 45 % environ
d’informel) sont aussi souhaitées la mise à niveau
et l’incitation à l’émergence d’acteurs logistiques
marocains performants via une restructuration
du Transport Routier de Marchandises (TRM), l’émergence
de prestataires intégrés et la mise à niveau des
donneurs d’ordre.
De
plus, partant de l’importance de la disponibilité
des compétences pour accompagner le développement
du secteur logistique national et renforcer sa
capacité d’attraction des investissements, la
composante ressources humaines est un axe fort
de la nouvelle stratégie.
En effet, le marché de l’emploi se caractérise
actuellement par une inadéquation entre l’offre
et la demande en termes de profils, en particulier
pour les métiers des opérateurs. De plus, la modernisation
du secteur logistique marocain crée une demande
de profils nouveaux, parfois très spécialisés
et peu ou pas disponibles sur le marché national.
D’où la programmation et mise en oeuvre d’un plan
intégré des formations dans le domaine de la logistique
touchant l’ensemble des niveaux de qualification
: opérateurs spécialisés, techniciens spécialisés,
ingénieurs et managers. Ce plan de formation s’articule
autour de deux initiatives clés :
> un plan de formation pré-embauche ciblant les profils de l’équivalent bac à bac+5, basé sur la mise en place de nouvelles fi lières pour accompagner la croissance du secteur du transport et de la logistique autour des nouveaux projets (p.ex. ZLMF, Tanger Med, etc.), opérant une rupture à plusieurs niveaux : qualité, quantité et ciblage des formations ;
>
un plan de formation post-embauche d’assistance
technique aux profils existants (focalisation
sur le secteur routier) : mise en place de programmes
de mise à niveau de l’existant, en particulier
autour de trois profils : les managers, les chauffeurs
et les donneurs d’ordre.
En matière de formation pré-embauche sont souhaités
65.000 lauréats en 2015 et presque 3 fois plus
en 2030.
Enfin, la mise en oeuvre de cet ambitieux programme nécessitant un effort cohérent, s’inscrivant dans le temps, et des arbitrages complexes à opérer sur des domaines ne relevant pas nécessairement des prérogatives d’un seul ministère, le dernier axe de cette stratégie consiste à mettre en place un cadre de gouvernance pour le secteur, avec l’Agence Marocaine pour le Développement de la Logistique (AMDL). Véritable « bras armé du gouvernement », elle sera assistée, pour les missions de veille, de suivi et de mesure de la performance du secteur de la logistique, de l’Observatoire de la compétitivité logistique, piloté par un sous-comité public-privé, avec une gestion autonome au sein de l’AMDL.
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UNE NOUVELLE ÉTAPE À ENVISAGER : LA MOBILITÉ URBAINE DURABLE DES MARCHANDISES
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La journée organisée à Casablanca par l’Association Marocaine de Logistique s’inscrit tout à fait dans la dynamique nationale engagée. En effet, selon son Président, le Professeur Mustapha El Khayat, il existe un risque non négligeable que l’ambitieuse politique macro-économique lancée par les plus hautes autorités marocaines en matière logistique se retrouve mise en échec si « l’explosion des coûts au niveau des villes » perdure, voire augmente. Le stade final du produit, rappelle-t-il, c’est la ville. où les acteurs ne se coordonnent pas ; point qu’il avait déjà mis en exergue dans des travaux présentés il y a déjà 10 ans !
Le professeur El Khayat, dans une intervention ultérieure, argumentera cette introduction qu’il sait moyennement consensuelle. « Y a-t-il une politique de la ville ? » Non. En tous cas, il n’y a pas de politique de logistique urbaine, du fait notamment d’une multiplicité d’acteurs, qui ne fonctionnent pas en réseau, et surtout de l’absence d’une unité de décision locale unique, qui serait en charge tant de la circulation des personnes que des marchandises. Au niveau national, l’examen du site Internet du Ministère de l’Urbanisme, Habitat et Environnement lui paraît révélateur : pas un mot sur la LU, pas de compétences en interne et pas de méthodologie. Et, force est de constater que si un travail important est mené sur les zones économiques à Casablanca, de fait, on ne dispose pas des données pour savoir ce qui s’y passe... Clairement, l’offre de transport de marchandises n’est pas en phase avec le rythme de la demande : les infrastructures et organisation ne suivent pas et, faute d’une unité décisionnaire, règnent complexité et incohérences.
Que
faire ? La politique logistique interurbaine
est bien définie par le Ministère de l’Equipement
et des Transports mais s’arrête aux frontières
de la ville où aucune entité n’a la compétence.
Or si on ne maîtrise pas le dernier kilomètre,
l’effort national logistique ne sera qu’une
réussite partielle. La politique de la ville
doit (mieux) intégrer les transports puis la
logistique. Ainsi sur des sujets témoignant
d’avancées en matière de mobilité, comme le
tramway, le métro, le « RER », il faut traiter
le problème dans sa globalité. Le Président
de l’AMLOG déplore que les implantations de
ces trois modes de transport ne prévoient pas
de parking aux points nodaux. Pourquoi aussi
ne pas utiliser le tram de Casablanca pour des
marchandises le soir puisqu’il passe par des
artères stratégiques ?
Pour le professeur El Khayat, il y a clairement
un besoin de coordination pour bâtir, avec toutes
les parties prenantes, une communauté logistique
urbaine autour d’une autorité unique responsabilisée.
Il espère donc que l’Observatoire de la compétitivité
logistique à venir pourra mesurer les goulets
d’étranglement et les coûts cachés du dernier
kilomètre et sera un facteur de mobilisation
à l’échelle urbaine.
L’intervention d’Isabelle Bardin, déléguée générale du Cluster Paca Logistique, centrée sur la logistique urbaine en région PACA et le rôle du Cluster dans ce domaine permettra aux participants marocains de constater que ce besoin de coordination et de mise en réseau des acteurs est tout aussi nécessaire. et insatisfait ! dans les métropoles françaises.
Descendre jusqu’à l’échelle de la ville pour bâtir une stratégie logistique tout aussi volontariste que celle dessinée nationalement est un souhait aussi exprimé par Mohammed Bennani. Dans son article, le journaliste web pose ainsi le constat qu’« une part non négligeable de la mobilité des marchandises est peu efficace. Elle provoque la mise en oeuvre d’un grand nombre de véhicules par km, au-delà de ce qui est nécessaire, pour approvisionner les agents économiques urbains. Un dysfonctionnement global du transport de marchandises dans les grandes villes pose d’importants problèmes relatifs à la circulation, à l’organisation de l’espace urbain et à l’environnement. »
LES ZONES LOGISTIQUES MULTI-FLUX : UN FACTEUR (INSUFFISANT) D’AMÉLIORATION
Pour Mohammed Bennani, la création des plateformes logistiques prévue dans la nouvelle stratégie nationale du développement de la compétitivité logistique au Maroc peut contribuer à une meilleure organisation des flux et de l’activité liée au niveau des villes. Resterait selon lui néanmoins à définir les caractéristiques de la mobilité urbaine, comme en témoigne l’exemple cité du Grand Casablanca, afi n de contrer les effets nocifs (environnement, pollution) de la désorganisation de la circulation, de l’encombrement des artères urbaines et du vieillissement du parc des véhicules dans le milieu urbain. Le Grand Casablanca, capitale économique du pays, représente de fait une région de première priorité pour le développement des Zones Logistiques Multi-Flux. En effet, elle concentre une grande partie de l’activité du Royaume : 38% du tissu industriel, 46% des emplois, et 50% de la valeur ajoutée, induisant un fort besoin en services logistiques compétitifs. Cette région possède cependant un parc d’entrepôts très modeste par rapport à son poids économique et seules quelques plateformes de stockage et de distribution répondant aux normes internationales existent.
C’est d’ailleurs pourquoi, comme nous l’expose le Professeur Mostafa Nachoui, Docteur d’Etat en Géographie (Université Paris I), le plan national logistique vise spécifiquement de mobiliser 607 ha pour les ZLMF de la région du Grand Casablanca à l’horizon 2015 (978 ha en 2030) dont 290 ha (518 ha en 2030) pour la réalisation de 8 plateformes de distribution (voir schéma)
Afin
de contribuer au développement durable du Grand
Casablanca et dans l’objectif d’une Intégration
au schéma d’aménagement du territoire existant,
tout en optimisant la localisation des plateformes
par rapport aux flux logistiques traités, l’allocation
foncière des ZLMF du Grand Casablanca se fera
autour de 2 axes (voir schéma) :
- le corridor logistico-industriel, partant
de la ville nouvelle de Zénata à Nouasseur,
- le corridor du sud du Grand Casablanca complétant
la couverture de l’ensemble des besoins de la
ville, entre Nouaceur et la ville nouvelle Sahel
Lakhyayta.
La
plus grande zone logistique du Maroc sera la
ZLMF de la nouvelle ville de Zénata qui occupe
une place de choix dans le cadre du Schéma National
des ZLMF.
Sur une superfi cie de 323 ha, cette ZLMF est
destinée à abriter trois types de plateformes
logistiques dédiées aux flux conteneurs, des
céréales et aux services de distribution et
de sous-traitance logistique.
En vue d’améliorer sa connectivité au port et à la ville de Casablanca, il est prévu la réalisation d’une connexion routière et ferroviaire dédiée.
Si l’insuffisance ou l’inadéquation des espaces pour le stockage intermédiaire à proximité des bassins de consommation vient de fait pénaliser l’optimisation de la distribution des principaux flux domestiques, les différents exposés entendus lors de la journée, montrent bien que la nécessaire rationalisation du transport de marchandises en ville nécessite d’actionner d’autres leviers.
UN MODE DE LIVRAISON DES COMMERCES PEU FAVORABLE À LA MASSIFICATION
L’importance du foncier prévu pour les flux de distribution s’explique par le fait que, comme le souligne le rapport du Ministère de l’Equipement et des Transports, le Maroc est caractérisé par un réseau de points de vente encore traditionnel et très granulaire, avec près de 200.000 points de ventes dont 80.000 épiceries, même si l’on assiste à la montée en charge de la distribution moderne (hypermarchés).
En milieu urbain, le commerce dans ses formes traditionnelles reste prédominant avec 90% environ de la distribution caractérisée principalement par les épiceries de quartiers (produits alimentaires essentiellement). 180.000 points de ventes dans le milieu urbain ont des surfaces inférieures à 50 m². Quant à la distribution des produits frais (fruits et légumes essentiellement), elle se fait au travers les 3.500 marchés urbains recensés.
Dans sa présentation sur les « Impacts de la distribution sur la logistique urbaine », Monsieur Abdelkhalek Lahyani, Ingénieur diplômé de l’Ecole Nationale de l’Industrie Minérale ENIM à Rabat & diplômé de gestion de l’ISCAE, indique que 70 % de la distribution au Maroc se fait par le biais du commerce traditionnel (voir schéma) impliquant une multiplicité d’acteurs peu coordonnés. Le transport est majoritairement organisé par le chargeur (unités de production, usines de montage, entrepôts de conditionnement ou de groupage/dégroupage, commerces de gros) en compte propre, avec un très faible taux de remplissage entrainant un sureffectif des véhicules en circulation dans les villes.
Surtout, point caractéristique et hautement problématique pour l’optimisation des tournées, il s’agit majoritairement de « vente à la demande » ou « à la chine » (laissée sur place), c’est-à-dire que le producteur (et livreur) ne connait de fait pas ce qui va être acheté et dans quelles quantités (pas de prévente) quand il charge son camion d’où :
- des tailles de camions inadaptées
- des gammes de produits trop réduites
- la possibilité de retour de marchandises
jusqu’à 60 % du camion,
- une multiplication des temps de trajet au détriment du temps passé chez le client (36 % en moyenne à Casablanca contre 55 à 60 % si l’on prend l’Italie ou la Turquie) avec en outre un temps peu optimisé sur place puisqu’il faut négocier, prendre la commande, facturer et encaisser puis manipuler. sans compter que pendant le démarchage, le camion est arrêté, moteur en marche.
- une fréquence des visites des clients parfois trop élevée
L’absence de planification des ventes ne permet ni la mutualisation, ni la coordination, ni d’ailleurs le contrôle de la performance des livreurs / vendeurs, et le dernier kilomètre coûte donc excessivement cher au niveau national. Un facteur net d’amélioration serait de passer à un système de pré-vente ainsi qu’à un regroupement des produits compatibles.
L’EXEMPLE D’ALGER : TOUTES LES VILLES SONT-ELLES « AMÉNAGEABLES » ?
Monsieur Kamel Khelifa (expert, consultant et formateur en logistique auprès d’organismes algériens publics et privés et internationaux ; journaliste et directeur de la publication Le Phare) aborde lors de cette journée de l’AMLOG la problématique de la logistique urbaine sous un angle différent, et quelque part, plus radical. Au regard de la problématique d’Alger, qui voit une concentration excessive de population et une occupation anarchique, il s’interroge : « Toutes les villes sont-elles aménageables ? »
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Un état des lieux catastrophique
Pour l’intervenant, à l’instar d’Oran et d’Annaba, Alger est devenue une ville invivable, malade d’un taux de pollution des plus élevés et du poids de plus de cinq millions d’habitants, pour une cité prévue pour abriter un nombre n’excédants pas les 500 000 personnes. Elle offre peu de possibilités d’extension, à moins de distraire de leur vocation première les espaces destinés à l’agriculture, aux forêts et aux logements. Alger, comme les autres agglomérations, regrette l’implantation anarchique et non planifi ée de zones industrielles à proximité de grands centres urbains déjà hyper-chargés.
Selon lui, les conséquences de la satisfaction d’une demande sociale anachronique (80% de la population occupent 10% du territoire sur la bande côtière) engendrent un coût social et économique incalculable sur les autres activités, comme l’organisation de distribution logistique des marchandises en milieu urbain, qui a tendance à s’éloigner de plus en plus du barycentre de la ville et s’installer dans les zones nouvelles initialement résidentielles et désormais industrielles. S’est créée une véritable anarchie dans la mobilité qui n’est pas sans conséquence pour les TMV (Transport des Marchandises en Ville).
En effet, comme les activités ne bénéficient pas d’une organisation globale, homogène et cohérente, ni de possibilité de dégagement d’espace logistique urbain dédié, la ville est soumise à une congestion inextricable des véhicules, qui va s’accentuant puisque Alger ne compte pas loin d’1,5 millions de véhicules (avec des importations en forte hausse) et les déplacements quotidiens sont de l’ordre de 4/5 millions de personnes. Ceci engendre une forte pollution, dépassant la norme de l’OMS de 0,5 microgramme/M3 d’air et due à 95 % au trafic automobile. En outre les coûts de transport sont excessivement élevés (de 250 à 500 Euros sur des distances de 10 à 20 Km pour un conteneur de 20 et 40’), du fait des déplacements outranciers pour la distribution de toutes sortes de produits sur des distances qui dépassent les 50 à 100 Kms, en moyenne, d’un point à un autre en zone de camionnage urbain. Par ailleurs, alors qu’une capitale comme Paris dispose d’une seule Autorité Organisatrice de Transports, l’intervenant évoque la cohabitation anarchique de 15.000 transporteurs privés avec l’ETUSA (entreprise publique) qui ne dispose que de 600 bus.
Alors qu’il y a un déficit de réserve foncière, on assiste à une demande croissante pour des espaces d’immobilier résidentiel et de bureaux, des plateformes logistiques de production et d’exploitation, du stockage et distribution des marchandises, l’aménagement de grandes surfaces mais aussi d’aires de jeux et des loisirs, des centres hospitaliers et de soins, etc.
L’absence de processus décisionnel et de modèles d’exploitation de l’espace, intégrant intérêt général et soutenabilité, pour la satisfaction des besoins vitaux a favorisé l’expansion et l’organisation anarchiques de quartiers périphériques qui se sont souvent spécialisés dans le commerce d’une activité : le Hamiz est devenu le haut lieu de l’électroménager, et les produits plastiques ; Jolie vue abrite des dépôts de gros de l’alimentaire ; El Harrach, des téléphones portables ; Bab Ezzouar, celui des pièces détachées asiatiques ; Dély Ibrahim, de la faïence et des produits sanitaires ; Baba Hacène, des tissus et articles d’ameublement.
Au lieu de minimiser les distances à parcourir pour les besoins d’achat, on assiste donc à :
- un éclatement dans tous les sens de la mobilité
de fourgons pour la satisfaction des besoins
d’achat,
- la multiplication à l’infi ni du nombre de
maison-dépôts et de centres de distribution
improvisés,
- une spécialisation des activités commerciales sans méthodologie ni modélisation réfl échies. A noter que par mimétisme des villes portent maintenant des noms des lieux de provenance des produits : Dubaï, Taiwan, . !
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Des solutions aux problématiques fortes rencontrées par les agglomérations algériennes sont néanmoins évoquées
- En matière de « fluidification » des transports, sont envisagées la réhabilitation du transport ferroviaire urbains (par voie de surface et souterraine). Le métro, et surtout le tramway (disparu dans les années 70), font partie intégrante du décor urbain. Le tramway présente des avantages appréciables, mais, de fait, les automobilistes n’ont pas délaissé leur véhicule pour emprunter le transport en commun. De plus, le tramway présente aussi quelques inconvénients : occupation d’espace non négligeable, nouveaux types d’encombrements, accidents ayant pour cause l’indiscipline et le refus de priorité au tram.
- Est aussi envisagée la réhabilitation du cabotage et du transport maritime urbain. Le cabotage national a été totalement abandonné pendant des décennies, à l’exception du transport de carburant. Un redéploiement timide est en train de s’effectuer mais le transport routier reste dominant. Un projet de liaisons en transport maritime urbain dans la baie d’Alger est soumis à la réfl exion des experts. Il est question de relier entre elles les cités situées sur l’espace maritime algérois, sur des distances de 40 Km de chaque côté à l’est et à l’ouest de la capitale. Mais quid des activités de pêche côtière, de la congestion maritime inévitable et du niveau de pollution de la baie ?
- La construction d’une dizaine de villes nouvelles est aussi prévue à travers le territoire algérien dans le cadre du SNAT établi en 2005. Ce plan devrait tenir compte de la nouvelle dimension économique des villes et leur corollaire, la logistique urbaine, en plus de la satisfaction des énormes besoins de logements. En outre, il est prévu l’aménagement d’espaces de culture, de loisirs et des autres besoins humains nécessités par la modernité, en y organisant de nouvelles règles d’urbanisme plus adéquates.
- L’avenir d’Alger est aussi au coeur des débats : la ville doitelle être réhabilitée ou une nouvelle capitale doit-elle être construite ?
Il existe un projet de réhabilitation de la capitale (2 milliards d’euros) visant à l’embellir mais aussi à préserver les possibilités de réalisation de servitudes projetées dans le cadre du maintien de sa fonction actuelle. Au vu des limites de capacité actuelles, des besoins croissants des habitant et de leur mobilité, de l’impossibilité physique de réaménager davantage des villes hyper saturées et exposées aux risques sismiques et du coût de l’opération, certains considèrent que ce réaménagement est nécessaire mais serait du gaspillage eu égard au gâchis urbanistique déjà constaté. Est donc proposé la construction à l’horizon 2030 d’une ville nouvelle présentée comme la future capitale, distante de 170 Km d’Alger. Son implantation est envisagée sur une superficie de 6.000 ha pour abriter 300.000 habitants (aménagement d’un cadre résidentiel, d’un centre administratif, d’un espace d’affaires, d’espaces verts et de loisirs, etc.)
Le « grand débat de l’heure » en Algérie parait donc concerner, sur le plan urbain, le choix entre la construction de villes nouvelles effi cientes ou le réaménagement de l’espace existant avec tout ce que cela suppose en termes de démolition, requalification. Se pose aussi la question de la décentralisation du pouvoir au niveau des municipalités afin de leur permettre de concevoir leur propre plan de développement durable.
METTRE EN SYNERGIE LES VILLES ET LEURS PORTS
Au travers des interventions du Professeur Mostafa Nachoui (« Le port de Casablanca dans la logistique urbaine ») et d’Olaf Merk (Logistique urbaine : relations ports-villes), la problématique complexifi ée des villes portuaires a été abordée.
Pour le Professeur Mostapha Nachoui, préserver la compétitivité du port de Casablanca (extension de son hinterland, conservation de ses parts de marché), perçu comme « le poumon économique historique de la ville et noeud logistique central » pour le Maroc, est fondamental.
Or, le mode actuel d’accès terrestre au port et l’intégration avec son hinterland limitent fortement ses possibilités de croissance, et ce à deux niveaux :
- impact massif du trafic entrant/sortant de poids lourds sur la ville en termes de pollution et de congestion ;
- problème d’évacuation grevant la compétitivité du port (coût, délai, qualité de service). Pour pallier ces problèmes, la stratégie nationale intégrée pour l’amélioration de la compétitivité logistique envisage de mettre en place un nouveau schéma d’accès à ce port et de le connecter avec le réseau des ZLMF. Il s’agit d’améliorer le fonctionnement du port en le focalisant sur les fonctions de manutention portuaire et de relocaliser les services logistiques au niveau du réseau des plateformes logistiques du Grand Casablanca, notamment la ZLMF de Zénata.
Le nouveau schéma repose sur le principe d’une connexion routière et ferroviaire de haute capacité entre le port de Casablanca et la plateforme de la ville nouvelle de Zénata permettant la fluidification et la massification des flux de marchandises du port vers la plateforme conteneurs.
En détail, ce schéma s’appuie donc sur :
- Un positionnement de la plateforme conteneurs de la ville nouvelle de Zénata comme arrière-port, pouvant servir d’interface pour l’import / export des conteneurs, à travers une offre de services logistiques (stockage, manutention, dépotage, gestion du circuit du vide,.), et un statut de zone sous douane, en plus de la fourniture de services administratifs complets (douane, transitaires, contrôles),
- La mise en place d’une connexion routière et ferroviaire portplateforme de haute capacité, permettant un fonctionnement intégré et efficace du système « Port - plateforme ». La connexion routière port-zone logistique de Zénata, d’une longueur totale de 20 km, sera réalisée à travers les composantes suivantes : la construction d’une route sur 1 km, à l’intérieur du port de Casablanca, la construction d’une route de 3,6 km sous forme d’une digue longeant le littoral sur le domaine public maritime, du port à Ain Sebaa, l’élargissement à 2 x 3 voies sur 6 km de la route régionale n°322, entre Ain Sebaa et Douar Harbili, la construction sur 6.5 km d’une voie express (2 x 2 voies) en site propre entre Douar Harbili et la route nationale n° 9 et aménagement de 2 carrefours, l’élargissement à 2 x 2 voies sur 5 km, de la route nationale n° 9 entre la route régionale n° 322 et Ain Harouda et l’aménagement d’un carrefour.
Par ailleurs, et afin de tirer pleinement profi t du potentiel d’optimisation lié à la mise en place de ce nouveau schéma port-plateformes en termes de compétitivité (coût, délai) du flux de conteneurs, mais aussi en termes de décongestion urbaine, de sécurité routière et de développement durable, des mesures incitatives et régulatrices seront prises pour la circulation des poids lourds et camions porte-conteneurs dans le périmètre urbain du grand Casablanca. Ces mesures interviendront au fur et à mesure du développement effectif des services destinés à ces marchandises dans les différentes plateformes.
En outre, des travaux sont menés au sein du port pour accroitre sa capacité de traitement. Ainsi un troisième terminal conteneur sera opérationnel en 2015 (530 mètres linéaires de quai à des profondeurs comprises entre 12.5 et 14 mètres et 30 hectares de terre-pleins) et permettra de passer de 1.600.000 EVP à 3.300.000 EVP par an.
Le port de Casablanca est aussi en passe de s’inscrire dans un phénomène mondial irréversible de reconversion de ses zones portuaires les plus urbaines. Ainsi le port historique (zone de la pêche, réparation navale, Tarik) va évoluer dans une optique d’ouverture vers la ville avec notamment l’aménagement du môle Tarik qui deviendra un terminal de croisière limité à des navires de 250-300 m, ce qui représente actuellement le coeur de la fl otte de croisière mondiale, en complément d’un quai croisière le long de la digue qui pourra accueillir les plus grands navires jusqu’à 350 m, en lien direct avec le centre-ville.
Olaf Merk, Administrateur du Programme Port-Villes, OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) décrit dans son intervention la relation complexe et dynamique entre Ville et Port, puis aborde le port comme moteur potentiel de la logistique urbaine et comme outil urbain.
Le programme de l’OCDE sur les villes portuaires a pour objectif d’identifier comment transformer les ports en instruments de développement urbain. Ce programme évalue donc l’impact des ports sur les villes et les régions avoisinantes. Il compare les politiques qui visent à augmenter les impacts régionaux positifs et à minimiser les effets négatifs. Une série de dix études de cas est réalisée dans diverses villes porportuaires du monde afi n de servir de repère sur la performance des ports étudiés, tout en analysant l’impact de ces ports et en évaluant les enjeux au niveau des politiques et de la gouvernance.
Ont déjà été étudiés : l’Axe Seine (Le Havre, Rouen, Caen, Paris), Rotterdam/Amsterdam, Hambourg et Helsinki, Mersin (Turquie), la Californie du sud (Long Beach et Los Angeles), Hong-Kong et Shanghai, les ports indiens de Mumbai et Chennai, Marseille-Fos...
L’avantage évident d’une ville-port réside bien sûr dans sa connectivité intermodale mais il lui faut gérer des flux plus importants d’où un risque majoré de congestion, de pollution et de bruit. La bonne connexion et intégration aux activités de la ville est un point clé. Dans le cas en cours d’étude de Durban, les analystes ont constaté qu’un quartier censé être résidentiel mais situé très près du port est, de fait, devenu une zone logistique informelle illégale (voir photo). Dès qu’une maison est en vente, elle est rachetée par des opérateurs logistiques (ce qui n’est pas sans rappeler la problématique algérienne évoquée précédemment). D’où forcément des impacts négatifs. mais aussi une création d’emplois...
D’ailleurs, en matière d’emplois, un ratio moyen se dégage des différentes études menées : 1 million de tonnes de flux portuaires génère environ 100 emplois. Et si le port facilite le commerce extérieur, les grandes villes portuaires ne sont pas juste des centres de flux mais aussi des centres de décision. On assiste donc à un effet de cluster économique et de recherche.
Sur ce, la dynamique économique n’est pas toujours liée à la ville avec des ports évoluant parfois progressivement en dehors des villes d’où une activité et une logistique qui s’éloignent, ce qui peut générer d’éventuels problèmes d’accessibilité des bassins d’emplois.
Dans le cas de ports très urbains, peuvent être menées des politiques intéressantes pour diminuer l’impact du trafic ou le lisser : fixer des rendez-vous aux camions, inciter au report d’une partie du trafic la nuit (coût du passage réduit). Olaf Merk cite aussi l’exemple du Corridor Alameda, qui relie les ports de Los Angeles et Long Beach, distants de 32 km, par une autoroute ferroviaire express (voir photo) permettant d’éviter de mêler marchandises aux flux urbains de passagers (routes et trains). En mars 2013, 44 trains circulaient par jour en moyenne sur ce corridor, avec près de 10.000 containers transportés quotidiennement.
Monsieur Merk conclut qu’un port peut tout autant être un outil pour la ville ou épée à double tranchant, suivant les politiques mises en place.
La dernière intervention de cette passionnante journée, celle du Professeur Mohamed Harakat, Expert en gouvernance stratégique, Directeur de la revue marocaine d’audit et de développement « REMA » et Président du Global Gouvernance Center « GGC », « Quelle gouvernance pour une ville intelligente et du savoir ? » récapitule bien le principal défi posé aux dirigeants et citoyens des villes, pour un développement urbain apte à faire face aux besoins des institutions, des entreprises et des citoyens, tant sur le plan économique, social qu’environnemental : la gouvernance !
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