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Flow n°31 : Activités logistiques et cité: réinventer une ville durable
 

Logistique et ville, une interdépendance et des synergies à repenser

Force est de constater que la logistique est encore aujourd’hui peu prise en compte dans l’aménagement de la ville. Pourtant la circulation des marchandises, fonction vitale du métabolisme urbain, est tout à fait assimilable à un réseau urbain, au même titre que les réseaux de transports publics, d’eaux potable et usée, télécoms, etc. Ses équipements immobiliers, indispensables à la relation producteur – consommateur ont, de plus, été progressivement évincés des agglomérations depuis la fin des années 1980.

Trois grands facteurs expliquent cette évolution. Tout d’abord, la logistique est avant tout assimilée à une activité industrielle, génératrice de nuisances (sonore, pollution visuelle et aérienne), et non à un service participant directement au fonctionnement et au dynamisme de la ville ; d’où son rejet par les riverains et leurs élus. Ensuite, le coût et la relative rareté du foncier urbain découragent le maintien, et a fortiori l’implantation, d’activités logistiques ou productives : celles-ci ne peuvent accepter des charges foncières (et/ou locatives) élevées. Enfin, un coût modéré du transport, joint à l’ouverture à l’urbanisation de vastes emprises bien desservies par la route, a permis de repousser les installations les moins « nobles » en périphérie. Cela, sans que soient forcément prises en compte initialement toutes les externalités négatives (économiques, environnementales, sociales et fonctionnelles) générées par ce zonage.

À l’instar de l’étalement urbain, le modèle actuel, basé sur des plateformes de distribution situées en lointaine périphérie des bassins de consommation, n’est plus viable. Les conséquences environnementales sont jugées désormais non soutenables. Par ailleurs, la demande des consommateurs urbains (entreprises comme particuliers), toujours plus soutenue et exigeante en termes de réactivité et fiabilité des délais, est de plus en plus difficile à satisfaire sans surcoût par les professionnels du transport. Ce zonage impose, en outre, aux territoires d’accueil d’apporter des solutions (transports en commun, logements) à l’éloignement entre les entreprises et le bassin d’emploi. En effet, en termes de densité d’emplois – et aussi de fiscalité – les activités logistiques peuvent apparaître à première vue comme peu attractives. Mais les sites sur lesquels existent des opérations de valorisation logistique – étape finale de production, préparation de commandes personnalisées, traitement de colis et préparation d’envois de type messagerie – sont dans les faits de gros employeurs (jusqu’à 200 emplois à l’hectare bâti pour la messagerie, en incorporant les emplois administratifs liés).

L’éloignement constaté n’est pas une fatalité mais invite les différents acteurs concernés par la circulation des marchandises à se parler, innover et repenser les espaces et pratiques logistiques pour permettre une cohabitation apaisée et économiquement viable avec les autres fonctions urbaines.

RAPPEL DE QUELQUES DONNÉES TECHNIQUES




Christophe Ripert, directeur immobilier de Sogaris Les exemples parisiens de Chapelle International et Beaugrenelle.


  • UNE FUTURE RÉALISATION PARISIENNE

Chapelle International : une mixité fonctionnelle rendue possible par la coopération des acteurs impliqués



Interview de Christophe Ripert, directeur immobilier de Sogaris

L’opération Chapelle International, située dans le 18ème arrondissement de Paris sur environ 7 hectares, vise à créer un quartier mixte, doté d’un programme de logements, de bureaux et d’équipements publics. Elle intègre un hôtel logistique multimodal embranché au faisceau ferroviaire Nord qui aura pour fonction de faire l’interface entre les flux longue distance de marchandises et le flux urbain de proximité. Remporté sur appel d’offres en 2010, ce projet innovant est entré dans sa phase opérationnelle en 2013.


  • Pourquoi ce projet ?

Aujourd’hui, l’intégration d’outils logistiques au coeur de la ville permet d’augmenter son attractivité, notamment en termes de livraison de marchandises. L’objectif est de pouvoir mieux intégrer la logistique sur le territoire en l’inscrivant dans les opérations d’urbanisme et en contribuant notamment à diminuer son impact environnemental. En partenariat avec Philippe Gallois et Ben Burken (SAGL Architectes Associés), Sogaris a imaginé un projet de base fret multimodale et mutualisée ayant pour vocation d’être une porte d’entrée logistique pour Paris et la zone dense de l’agglomération


  • Quelle en a été la genèse ?

Le site parisien de Chapelle International se situe sur une ancienne emprise ferroviaire, bordée à l’Ouest par les voies ferroviaires du Nord, à l’Est par les immeubles existants de la rue de La Chapelle, au Nord par le boulevard Ney et la petite ceinture et au Sud par la base travaux RFF en charge de l’entretien du faisceau ferroviaire Nord.
Le terrain, appartenant à la SNCF, a été vendu à leur aménageur, la Société nationale d’espaces ferroviaires (Snef), qui a négocié avec la Ville de Paris la réalisation d’une opération d’aménagement sur toute l’emprise.

Dès l’amont, le directeur d’Espaces ferroviaires, Jean-Michel Dupeyrat, a souhaité que soit intégré dans ce nouveau quartier un outil logistique performant, qui deviendrait une des portes d’entrée intermodale pour Paris. Ont donc été réservés, dès l’origine, 2,4 hectares le long du faisceau pour développer une halle fret. Le reste est constitué de logements, de bureaux et d’équipements publics le long du boulevard Ney. Donc le premier élément très important dans ce projet est d’avoir positionné cette halle fret dès le début du projet d’aménagement. Un appel à projets a ensuite été lancé en 2010 pour voir qui était désireux d’acquérir les droits à construire de ce bâtiment logistique. Sogaris a répondu, en tenant scrupuleusement compte des obligations et des contraintes du cahier des charges, posées à la fois par l’aménageur et la Ville de Paris : arrivée de la majeure partie des marchandises par le fer, pas de hauteur supérieure à 7 m, toute l’activité devant se dérouler à l’intérieur de la Halle. Nous avons été désignés en juillet 2011.


  • Quelles activités seront accueillies au sein de l’hôtel logistique ?

Nous avons conçu ce projet d’hôtel logistique à l’horizontale, ce qui était imposé, en posant tout d’abord en rez de voie ferrée, sur les 390 m de long et 60 m de large du terrain, un terminal ferroviaire urbain qui accueillera deux navettes par jour. Ensuite nous avons créé un sous-sol, pour augmenter la surface utilisable. Dans cet espace ont été positionnées deux activités : de la logistique avec un espace urbain de distribution (environ 10.000 m2) et un data center (6.000 m2, équipements techniques inclus). Cette dernière activité a été privilégiée car, outre son côté rémunérateur, elle nous permet de réserver la capacité de trafic de la rue de la Chapelle aux flux du terminal ferroviaire urbain et du centre de distribution urbain. Ensuite, le long de l’hôtel logistique, côté quartier en façade, 4.000 m2 de bureaux seront réalisés. Enfin, en cinquième façade, c’est-à-dire en toiture, Sogaris a donné la moitié de la surface (1 hectare) à la Ville de Paris, qui veut y mettre des terrains de sport et de l’agriculture urbaine. Nous valoriserons la partie restante par des surfaces de commerces (restaurants, un fitness club…)


  • Comment s’équilibre financièrement cette opération ?

C’était une condition clef de faisabilité pour ce projet. Si Sogaris a acheté le foncier à un prix inférieur au tarif de marché pour des bureaux ou logements, il restait cher pour de la logistique. De son côté, l’aménageur a vendu 34 % de son terrain moins cher que ce qu’il aurait pu espérer en ne faisant que du tertiaire. Un équilibre satisfaisant pour tous a pu cependant être trouvé, en étroite collaboration avec la Ville de Paris. Pour compenser le manque à gagner côté aménageur, la Ville de Paris a accepté de « déplafonner » son PLU (plafonné normalement à 37,5 m) et l’a autorisé à monter ses 5 tours d’habitations à 50 m de haut permettant de générer des m2 supplémentaires. De notre côté, en compensation du surcoût du terrain et de la rétrocession d’1 ha de toiture (qui doit en outre pouvoir accueillir de la terre), il nous fallait obligatoirement pouvoir mixer l’activité logistique avec des fonctions plus rémunératrices (bureaux, commerces, équipements publics et data center). Nous avons obtenu le droit de construire des bureaux le long de la halle et de poser en toiture les 2 modules commerces avec un fitness club et un restaurant, qui dépassent 7 m de haut.


  • Quels obstacles a-t-il fallu lever pour rendre possible cette mixité d’activités ?

Déjà, le PLU de la Ville de Paris ne permettait initialement pas cette mixité puisque nous étions en Zone de Grands services urbains (UGSU), affectée exclusivement à l’accueil des équipements et services nécessaires au fonctionnement de l’agglomération, donc interdite à l’habitation, le bureau et le commerce, l’hébergement hôtelier.

La Ville de Paris a donc, à nouveau, joué un rôle important en modifiant son PLU très rapidement pour faire passer le terrain en Zone urbaine générale (ZUG). C’était un préalable indispensable. Mais il faut noter que dans cette opération, elle n’est pas perdante car la ville a obtenu ce qu’elle souhaitait : faire entrer des marchandises par le fer, améliorer son bilan environnemental, disposer d’un espace public…
Ensuite, il fallait que cette mixité soit acceptée du point de vue du permis de construire. Nous mélangeons en effet des établissements recevant du public (ERP) en toiture, dépendant du Code de la construction et de l’habitation, à des activités « Code du travail » et à des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). L’ICPE ne provient pas de la quantité de marchandises qui sera stockée mais des équipements techniques, notamment électriques, nécessaires au fonctionnement du bâtiment (salle de charge, branchements électriques pour le data center…). Mettre tout ça dans un même bâtiment s’est avéré compliqué et les pompiers ont tiré beaucoup de sonnettes d’alarme ! Il a fallu, au fur et à mesure, trouver les moyens de les sécuriser.

Le permis de construire a été déposé en décembre 2012 et instruit durant l’année 2013. C’est au cours de cette phase que nous avons dû démontrer, par de nombreuses études qui ont dépassé 300.000 €, que le bâtiment répondait bien à toutes les contraintes de sécurité (incendie, stabilité du terrain avec des sondages jusqu’à 65 m de profondeur…) et de préservation de l’environnement et du patrimoine (archéologie).

En novembre 2013, nous avions les avis positifs de tous les organismes consultés et avons donc pu rentrer dans la phase d’enquête publique (nov-déc. 2013) qui s’est traduite, en février 2014, par un rapport du commissaire enquêteur positif, sans remarque ni question. Ce qui a permis d’obtenir le permis d’aménager du quartier et le permis de construire de l’hôtel logistique en juin 2014.


  • Quelles sont maintenant les tâches à mener ?

Les travaux de déconstruction sur le site ont démarré en juillet 2014. À la fin de ceux-ci, en fin d’année, l’acte passé avec l’aménageur sera réitéré : la promesse de vente deviendra acte de vente définitif et nous commencerons les travaux début 2015. Il est prévu qu’ils durent deux ans avec une mise en exploitation de la halle début 2017.

Durant toute la phase de travaux, nous travaillerons en parallèle à la mise en place du lien ferroviaire entre Bruyères sur Oise et Chapelle et à la commercialisation. Des chargeurs ont déjà manifesté leur intérêt pour le lien ferroviaire, le data center, les bureaux et l’espace de distribution urbain. D’ailleurs nous avions prévu initialement de diviser cet espace en trois mais deux sociétés postulent déjà pour l’ensemble de la surface…


  • Comment s’articulent les espaces logistiques, ferroviaire et urbain ?

Il s’agit d’un fonctionnement séparé et les volumes en jeu ne sont pas les mêmes. En bas (sous-sol) ce sera du colis, du fret express ; en haut, de la palette dans du contenant de gros volume. Par ailleurs, la navette ferroviaire urbaine, c’est 450 T de fret. Avec une prévision de deux trains par jour, cela fait à peu près 900 T/ jour tandis que l’espace urbain de distribution ne devrait accueillir qu’environ 40 T / jour.

Le terminal ferroviaire urbain est donc là pour gérer les gros flux de marchandises, exclusivement sous forme de contenants (pas de ruptures de charges), qui auront été préparés et mis en remorque dans des entrepôts aux alentours de Bruyères sur Oise, où se situent les stocks massifiés. Nous comptons recevoir à terme 2 convois par jour, chargeant soit 40 semi-remorques classiques, soit 80 semi-remorques urbaines, plus petites puisqu’elles font 6,70 m de long. Une fois attelées à un tracteur, les remorques partiront directement en distribution dans les magasins.

Pour l’espace urbain, qui ne fonctionnera pas obligatoirement avec le fer, il y aura un approvisionnement le matin par quelques gros porteurs sur sans doute 8 emplacements (contre 2 à Beaugrenelle), ce qui permettra de faire arriver environ 200 m3 de fret express à la fois, de façon très massifiée. Ce fret, une fois déchargé et trié, repartira en distribution sur le nord est parisien avec des véhicules propres.


  • Qu’est-ce qui a été le plus dur dans ce projet ?

Déjà, il n’est pas fini, il y a encore plein de choses difficiles à mener ! Sinon, sans doute de stabiliser la programmation de notre bâtiment, à savoir que va-t-on mettre là, et là, et là…, et les faire cohabiter. Cela a été un vrai casse-tête. Il fallait que le projet soit acceptable par les pompiers, que les activités puissent bien fonctionner les unes avec les autres, et qu’elles soient commercialement viables.

Au départ, nous avions prévu beaucoup plus d’activités, c’était très complexe. Puis au fur et à mesure que nous avancions, il fallait changer en fonction des impossibilités signalées. Cela a tout le temps bougé et l’architecte faisait et défaisait les plans ! Pour preuve, nous sommes arrivés en phase DCE (Dossier de consultation des entreprises) seulement en juin 2014 alors que nous travaillons sur ce projet depuis 2010 !

technique qui nous permettrait de mettre en place ce lien ferroviaire. Nous avons réfléchi à une solution classique comme pour Monoprix avec un wagon fourgon : on charge la marchandise depuis un quai dans le wagon, on décharge, on met dans un camion… Mais là, on n’a pas la place, ça prend trop de temps, c’est trop compliqué et les chargeurs n’en veulent pas. Nous envisageons la solution de transport combiné rail-route pour le transport de semi-remorques urbaines avec notre partenaire ferroviaire VIIA du groupe GEODIS SNCF FRET.

Les semi-remorques urbaines existent déjà (le BHV et les Galeries Lafayette se font déjà livrer avec ce type de matériel urbain).


  • Quelles conditions pour qu’un tel projet puisse être dupliqué dans une autre ville ?

À vrai dire, il y aurait besoin d’en faire déjà au moins deux autres dans Paris ! Un point très important : la programmation est extrêmement complexe mais doit rester pilotée par le maitre d’ouvrage – et pas préprogrammée par le cahier des charges donné par la Collectivité par exemple. Il faut vraiment tenir compte des contraintes réglementaires et financières pour aboutir à un bâtiment viable fonctionnellement et économiquement, et donc à l’équilibre. Sauf à recevoir des subventions en compensation mais ce n’est guère souhaitable comme démarche ! Ensuite qu’il y ait des consignes claires et fixes.


  • Au travers de votre expérience, quelles activités peuvent selon vous « facilement » cohabiter avec de la logistique ?

À côté de la logistique, on peut avoir tout ce qu’on veut ; au-dessus, c’est un peu plus compliqué, voire impossible pour du logement compte tenu des réglementations actuelles.

Respecter ces contraintes facilitera l’obtention du permis de construire. Et il faut être conscient que cette mixité implique bien sûr des contraintes fortes de construction (résistance au feu importante) qui coûtent cher.

Avec Chapelle International, nous sommes allés au-delà de notre métier de constructeur en immobilier logistique pour concevoir un service global, en assemblant des briques et en faisant rentrer des partenaires : ferroviaire, logisticiens… Faire évoluer notre métier était indispensable pour que le bâtiment puisse exister et fonctionner.



Solène de Bouteiller, architecte Une vision de futures architectes : projet de fi n d’études, ENSA-Marseille.

Quand des élèves en architecture s’intéressent à la logistique urbaine. Interview de Solène de Bouteiller, architecte diplômée de l’ENSA Marseille en juin 2013

Encadré par la corniche, le boulevard de Paris, et la tour CMA-CGM, l’îlot Arenc est à l’articulation entre le port, le parc et le ruisseau des Aygalades, Euroméditerranée I et Euroméditerranée II.

Deux jeunes étudiantes en architecture, Solène de Bouteiller et Estelle Roman, se sont intéressées à cet endroit focal et ont souhaité y baser leur projet de fin d’études. Leur directeur d’études, Julien Monfort, architecte urbaniste et enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Marseille (ENSAM), leur a alors demandé de produire un projet fonctionnel et opérationnel, correctement dimensionné au regard des enjeux de logistique urbaine marseillais ; d’où un travail mené aussi en lien avec un expert logistique, Daniel Boudouin.

Ce projet d’études illustrant bien, même si c’est de manière purement théorique, comment pourrait être conçu un programme multifonctionnel associant la logistique à d’autres équipements, nous présentons l’organisation logistique envisagée et son insertion dans le bâti.

Pour comprendre ce projet, Solène de Bouteiller, Julien Monfort ainsi que François Kern, architecteurbaniste, nous ont apporté chacun leur éclairage et nous les en remercions vivement.


  • Pourquoi s’être intéressée à la logistique urbaine et à ce site ?

2013 était une année particulière pour Marseille, tant par la dynamique insufflée par son statut de Capitale européenne de la culture que par la création annoncée de la métropole marseillaise. Motivées par le fort potentiel de développement de cette ville, nous avons choisi de nous lancer, avec Estelle, dans une étude urbaine de son territoire métropolitain. Marseille se structure autour de 3 boucles : le boulevard de contournement du Vieux Port, la L1 et la L2. C’est la ville la plus embouteillée de France avec plus de 5 heures de bouchons par jour. De plus, le réseau de transport en commun est limité, et mal structuré en comparaison à d’autres métropoles. Un des enjeux majeurs nous a paru être la gestion des flux et leur régulation aux entrées de ville. La livraison du « dernier kilomètre » est la plus coûteuse, elle représente en effet 20 % du coût total de la chaîne d’acheminement des marchandises. Elle est aussi très polluante et représente 25% du CO2 émis par nos villes. Quant au site, celui de l’actuelle plateforme Sogaris, il est très intéressant car il fait partie du territoire du programme Euroméditerranée 2 et questionne le rapport entre ville et Port. Hyper connecté aux réseaux de transport et marqué par la présence des infrastructures, il est aujourd’hui occupé par une plateforme logistique très étendue qui, de fait, coupe le lien entre la ville et le port. L’enjeu de notre projet était donc de construire la ville sur la logistique pour désenclaver le quartier et créer un nouveau lien avec le port.


  • Quels enjeux ont dû être pris en compte ?

Il est aujourd’hui primordial d’intégrer la logistique dans la réflexion sur la ville. Nous avons mené une étude urbaine, analysé les flux et les réseaux de transports en commun afin de définir les situations stratégiques de multimodalité pour Marseille. Nous avons considéré que la mutualisation des infrastructures entre personnes et marchandises était une manière de faire face aux problèmes de congestion, de pollution, et de financement de réseaux de transports efficaces. En effet, elle permet de rentabiliser les réseaux de transports en communs existants et d’en financer de nouveaux.

Nous proposons donc la création de deux pôles relais personnes et marchandises aux entrées Est (La Capelette) et Nord (Sogaris Arenc) de Marseille. Ces deux polarités d’intermodalité en entrée de ville assurent la transition des flux de personnes et marchandises vers un mode de transport doux adapté à la ville comme le Tram / Tram Fret. Nous nous sommes centrées sur le site d’Arenc car la façade maritime Nord capte 80% des marchandises, le transit des marchandises portuaires et 2/3 des personnes.


  • Où se sont situées les difficultés ?

Pour mener à bien ce projet, nous avons dû nous imprégner en un temps record du domaine de la logistique en termes de fonctionnement, de quantités et de dimensionnement. Cela n’a pas toujours été évident. Cependant, nos multiples recherches, notre journée à la SITL et la coopération de Daniel Boudouin nous ont permis de comprendre les logiques essentielles. L’activité logistique est donc devenue génératrice de projet. Nous sommes parvenues, je crois, à concevoir une plateforme logistique au fonctionnement efficace tout en mixant les programmes et en l’intégrant dans le tissu urbain. Sinon, le site est inclus dans le périmètre du programme Euroméditerranée 2 visant à requalifier le quartier d’Arenc. Il a donc été indispensable de maitriser tous les paramètres de ce projet afin de le questionner et d’inscrire notre démarche dans ce quartier en devenir.


  • Pourquoi mixer de l’événementiel aux activités logistiques ?

L’îlot Sogaris - Arenc est hyper connecté aux réseaux de transport et représente donc un lieu stratégique pour l’installation d’un programme d’intérêt métropolitain. Le choix programmatique était très important afin qu’il puisse tirer parti des infrastructures nécessaires aux activités logistiques. L’implantation d’activés évènementielles nous a paru pertinente au vu des besoins de la ville de Marseille et des flux logistiques qu’ils génèrent. Ils sont alors gérés de façon concomitante à ceux de la plateforme logistique urbaine. L’îlot est constitué d’un programme évènementiel comportant un centre des congrès, des halls d’exposition et une structure capable d’accueillir les Docks des Sud. Un hôtel, des commerces et des activités tertiaires sont présentes sur le site afin de faire vivre l’îlot en continu.
L’imbrication spatiale et aussi temporelle des activités est pensée dans un souci de compatibilité des usages et de mutualisation des espaces.


  • Que faudrait-il travailler encore dans ce projet ?

L’enjeu de notre démarche n’était pas de livrer un projet fini et figé, mais de développer un concept novateur de mixité entre ville et logistique. Nous avons montré que l’actuelle plateforme Sogaris-Arenc est un site à enjeu pour Marseille. Ce projet, selon nous, devrait évoluer et s’ajuster au vu du processus de transformation urbaine du quartier et de la mise en place de la métropole. En fonction du contexte, il serait intéressant de mener une étude de faisabilité pour définir très précisément le projet en termes de dimensionnement des activités logistiques, de principe structurel, et de bilan économique. En effet, notre travail n’était pas d’évaluer de manière précise le coût de ce projet. Cependant, nous avons pensé le projet dans une logique de mutualisation des infrastructures et des financements entre capitaux publics et privés.


  • Selon vous, peut-on se diriger vers plus de mixité dans les futures décisions d’aménagement urbain ?

Les plateformes urbaines ne doivent plus être des zones d’activités consommatrices de foncier très coûteux, marquant des ruptures dans les villes. En mixant celles-ci avec d’autres programmes, elles peuvent s’insérer dans le tissu urbain et devenir des lieux de pratiques urbaines. Cette dynamique se développe progressivement par des projets comme l’hôtel logistique multimodal de Chapelle International qui met en place la mixité entre programmes de loisirs et logistique. Cependant, les mentalités doivent évoluer. Urbanistes et logisticiens doivent travailler ensemble afin que mixité et qualité fonctionnelle des activités logistiques s’accordent au service de l’insertion urbaine. La chaîne logistique tend à évoluer dans un souci d’organisation et d’écologie. Les flux seront en partie stoppés aux entrées de villes et transférés sur des modes de transport doux plus adaptés.
Les collectivités doivent maintenant soutenir des projets innovants en la matière, qui seront le point de départ d’une nouvelle conception de la logistique urbaine.


Frédéric Kappler, directeur adjoint à la Principauté de Monaco Le futur îlot Charles III, un projet d’envergure pour une ville intégrée.

L’îlot Charles III : bâtir un outil intégré performant pour répondre aux besoins logistiques présents et futurs de Monaco

Interview de Frédéric Kappler, directeur adjoint de la Direction de la Prospective, de l’Urbanisme et de la Mobilité de la Principauté de Monaco

L’îlot Charles III est une parcelle d’environ 6.730 m² de surface exploitable, bordée au nord-ouest par le boulevard Charles III et au sud-est par les immeubles industriels du quartier de Fontvieille : Lumigean, Triton, SMA, Thalès. Dans son prolongement, côté nord, cet îlot est contigu à la future opération Pasteur comprenant des équipements publics (collège, médiathèque, etc.), des bureaux, mais également des fonctions logistiques comme le centre de tri de La Poste et le centre de transfert des recyclables secs.

De par sa localisation, sa topographie et son environnement, cet ensemble a la potentialité d’accueillir des activités de nature très variée (industrie, tertiaire, logistique, parkings… ) ainsi que de la grande hauteur, même si les contraintes sont nombreuses. Parallèlement, l’actuel Centre de distribution urbaine (CDU), situé sous les Terrasses de Fontvieille et maillon essentiel de l’organisation logistique en Principauté, est saturé.

Aussi, dans le cadre du Plan de déplacements urbains (PDU) et des réflexions préalables à l’aménagement des ex-terrains SNCF (îlots Pasteur et Charles III), la Principauté a décidé de consacrer une partie des surfaces à développer au relogement et à la reconfiguration du CDU, en développant les synergies avec les autres activités logistiques à implanter dans l’îlot Pasteur et celles qui complèteront le CDU dans l’îlot Charles III (commerce de gros alimentaire, messagerie et e-commerce).

Il s’agit d’aboutir, vers 2025, à un ensemble logistique cohérent qui, en lien avec les entrepôts de stockage et préparation situés à l’extérieur de Monaco, constituera un outil très performant au service de la dynamique économique de la Principauté.


  • LA LOGISTIQUE URBAINE : UNE RÉFLEXION DÉJÀ ANCIENNE

Monaco accueille depuis très longtemps des activités présentant de vrais process industriels au coeur même des deux kilomètres carrés de la Principauté. C’est notamment le cas dans plusieurs immeubles de Fontvieille, dont les étages sont largement occupés par de l’industrie. Couvrir les besoins des 35.000 résidents ou 55.000 actifs implique aussi la présence d’importantes surfaces commerciales. Monaco est donc un milieu urbain très dense, difficile d’accès tant pour les personnes (visiteurs et actifs) que pour les marchandises.
C’est pourquoi la Principauté a eu l’idée, dès 1989, de mettre en place un système d’accès du fret au territoire en deux temps.

  • Tout d’abord, il fallait prévoir de collecter au maximum les marchandises sur l’extérieur de la Principauté, au plus près de l’autoroute et, là-bas, de réaliser les opérations de groupage – dégroupage et de reconditionnement. Concrètement, l’Etat monégasque a acheté des entrepôts au Parc d’activités logistiques (PAL) de Saint Isidore1, qui sont actuellement donnés en concession à Monaco Logistique, un transporteur exerçant aussi une activité en propre. Ces entrepôts ont d’abord été utilisés pour le stockage et la logistique des entreprises et en particulier des industriels de Fontvieille. Mais Monaco Logistique reçoit et traite aussi sur place l’essentiel du fret à destination de la Principauté, puisque seuls les lots complets de type industriel peuvent être livrés directement sur le territoire.
  • Ensuite, il s’agissait de faire descendre et accueillir des lots complets par poids-lourds en coeur de ville. Pour cela, un CDU (1.320 m2) a été aménagé dans le quartier de Fontvieille, qui disposait d’un réseau de voirie compatible avec la circulation des poids lourds de gros gabarit. Ce CDU se situe en R-3 de l’immeuble des Terrasses de Fontvieille, qui abrite un centre commercial et des bureaux. Le CDU, qui a réceptionné 5.044 camions en 2013 et qui a traité 111.200 colis et palettes, permet de recomposer et organiser au mieux les livraisons par véhicules légers ou camionnettes thermiques ; l’électrique n’étant pas encore tout à fait adapté à la configuration topographique du territoire. À ce sujet, notre interlocuteur nous fait remarquer qu’une évaluation environnementale (Interface Transport / ADEME - Août 2003) a montré que le système logistique monégasque, du fait de la synergie entre le PAL et le CDU, générait in fine des gains environnementaux plus importants que celui de la Rochelle, pourtant conçu autour des véhicules électriques.

  • UNE RELOCALISATION DU CDU EN SYNERGIE AVEC DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES

La Principauté ayant récupéré à la fin des années 1990 des terrains SNCF entre Cap d’Ail et le centreville, la réflexion programmatique de cet ensemble a débuté. À cette occasion deux constats ont été faits : la plateforme actuelle urbaine de fret, qui traite de la palette et de la grosse marchandise mais aussi, et de plus en plus, du petit colis, est victime de son succès et désormais à saturation : sous-dimensionnement au vu de la progression très forte des livraisons, accès étroits, absence de quai, présence humaine trop importante… De plus, le sous-sol de l’immeuble « Les Terrasses de Fontvieille » gagnerait à être désengorgé, dans l’optique de créer de nouvelles réserves pour les commerces. Une relocalisation de la plateforme de fret, mais aussi d’autres fonctions logistiques présentes comme Chronopost, devait donc être programmée.
La première décision a été de regrouper, sur l’îlot Pasteur, très proche, les activités du premier des logisticiens urbains, La Poste (Chronopost et le centre de tri de Monte-Carlo). En effet, la croissance du colis, lié au développement du e-commerce, vient compenser la baisse de l’activité courrier. Par ailleurs, il paraissait logique de condenser en amont l’arrivée, qui sera bientôt massive, de petits colis, pour une redistribution fine ensuite par une entreprise dont l’organisation, la structure et le personnel sont déjà adaptés à la livraison du dernier kilomètre.

Il faut ensuite savoir que la superstructure de l’îlot Charles III (au-dessus de la cote +24,50 m du niveau général de la mer) est à la fois en contact avec la zone industrielle de Fontvieille (où il y a toute une réflexion à mener pour développer de l’industrie, des bureaux, et d’autres activités liées au commerce de proximité, services aux entreprises…) et avec la principale entrée en Principauté, en cours de réalisation. En effet l’îlot se situe à l’arrivée de la Basse Corniche, au débouché du futur tunnel descendant qui prend naissance sur le boulevard du Jardin Exotique, dans le prolongement de la moyenne corniche, et vient « atterrir » sur le boulevard Charles III au droit de l’îlot, afin de réinjecter le trafic sur la dorsale qui traverse toute la Principauté. Il se situe aussi au début d’un éventuel TCSP (Transport en commun en site propre) et donne accès à la ZAC Saint Antoine.

La présence de cette nouvelle infrastructure de transport (tunnel descendant) rendait assez naturel le transfert dans l’îlot Charles III du CDU qui bénéficierait ainsi de conditions idéales de desserte pour ses poids-lourds. En outre, positionné à cet endroit, il se situerait à proximité immédiate de La Poste, mettant en place les conditions d’un travail en commun.


  • TROIS PANS D’ACTIVITÉS POUR CETTE FUTURE PLATEFORME LOGISTIQUE

Alors que commençait la programmation de cette nouvelle plateforme, la Direction de la Prospective, de l’Urbanisme et de la Mobilité a été en outre alertée sur deux points.

  • Tout d’abord, le commerce de gros alimentaire, qui est essentiel à la survie du commerce de bouche, rencontre des difficultés en milieu urbain. Si partout ailleurs il y a des MIN (Marché d’intérêt national), ce n’est pas le cas en Principauté. Cette activité s’est donc diffusée en fonction des opportunités foncières et ses entreprises se trouvent désormais souvent enclavées dans des quartiers difficiles d’accès. Proposer à une partie d’entre elles de se localiser dans un site bien desservi et fonctionnel ferait sens.
  • Ensuite, la croissance exponentielle du colis du fait du développement du e-commerce doit être anticipée. Certains opérateurs ont indiqué douter de pouvoir, dans dix ans, venir livrer en Principauté une multitude de destinataires. Ils recherchent bien sûr des solutions alternatives, de type points-relais, mais les commerces n’ont pas de surfaces de réserve suffisantes… En outre, sur internet, on constate que la plupart des sites ne proposent pas la livraison sur Monaco. La quasi-totalité des livraisons se fait sur les communes de Beausoleil ou Cap d’Ail. La Principauté voit donc partir à l’extérieur de son territoire la maîtrise du dernier kilomètre. D’où l’intérêt possible d’organiser le rapatriement de tout un pan de cette activité du e-commerce, d’abord en massifiant les arrivées, avec un transfert de responsabilités, une facturation du dernier kilomètre, etc., ensuite en organisant la distribution finale sur tout le territoire. La Poste est certes bien positionnée et peut constituer un appui très appréciable, mais elle ne peut à elle seule traiter tous les volumes et types de colis : les livraisons liées au e-commerce sont de plus en plus volumineuses (du gros électroménager, par exemple)… D’où l’idée d’un troisième pan d’activités pour cette plateforme.

« Là, on a un ensemble logistique qui commence à prendre corps et une certaine cohérence et qui, en lien avec les deux entrepôts de Saint-Isidore, constitue un véritable outil logistique, très performant, qui ne demandera qu’à se révéler ».


  • UNE OPTIMISATION DES SURFACES ET DES FLUX

En termes de flux de poids-lourds, l’îlot Charles III va pouvoir réceptionner, via le tunnel descendant, tout ce qui est fret, le déposer dans le niveau spécialement affecté à cela et le faire repartir, via le tunnel montant (tunnel Rainier III). Les gros porteurs vont donc être concentrés dans 150 à 200 m de voiries et, à partir de là, la distribution va être organisée à la fois au travers de La Poste (comme c’est déjà le cas) et de la plateforme logistique.
Bien évidemment, toute cette logistique prend de la place : Il est prévu de réserver environ 8.000 m2, hors circulations véhicules et éventuelles liaisons verticales, à cet équipement. Les activités logistiques seraient situées sur 2 niveaux en infrastructures, avec des quais permettant l’accueil en simultané de 8 porteurs. 2.500 m² seraient réservés pour le marché de gros, 1.000 m² environ, voire plus pour la messagerie express et le reste pour les zones de groupage-dégroupage, manutention et préparation de commandes, le stockage tampon pour les industries.

Toute la partie en superstructure serait dédiée aux activités de bureaux. Une composante industrielle complèterait le programme pour effectuer des opérations tiroir.

À l’arrivée, un îlot de 3.000 / 3.500 m2 d’emprise sur lequel il y aura sans doute un immeuble industriel, des bureaux, un ensemble logistique constitué de la plateforme avec ses trois pans d’activités, en lien immédiat avec le centre de tri de La Poste, et en-dessous, du stationnement pour environ 1.000 VL, tout en restant à une cote supérieure au niveau de la mer…

La programmation est d’autant plus complexe qu’en immédiate proximité de l’îlot Pasteur se trouve un centre de transfert des recyclables secs. Il y aura donc un certain nombre de semi-remorques à fond mouvant alternatif (FMA) en poste, alimentés via des trémies en cartons, verres, déchets électroniques, etc. Le but est, là aussi, d’optimiser leur transport vers les différents points de traitement situés à l’extérieur de la Principauté.


  • MIXITÉ FONCTIONNELLE, COHÉRENCE PROGRAMMATIQUE ET RÉFLEXION PROSPECTIVE : UN RÉFLEXE EN PRINCIPAUTÉ

Vu les contraintes foncières inhérentes à la Principauté, il est nécessaire d’optimiser les locaux et il n’est pas possible, par exemple, de consacrer un terrain uniquement à des activités logistiques. Ce n’est pas juste une question financière, c’est aussi le manque de disponibilités.
« Nous sommes clairement guidés par la contrainte. Ainsi, en matière de densité, nous partons toujours sur la cote la plus basse exploitable. Ici, sur Fontvieille, on est au niveau de la mer et donc on ne souhaite pas descendre trop bas. À d’autres endroits, c’est la topographie et la nature des terrassements à opérer qui sont déterminants. N’oublions pas non plus l’urbanité des lieux et l’insertion des constructions dans le site qui sont également des paramètres à prendre en considération en matière de densité ».

À chaque fois, il y a deux mondes qui se côtoient :

  • le monde des infrastructures, dans lequel il va se passer beaucoup de choses en Principauté, et qui n’est d’ailleurs pas toujours complètement enterré car il faut penser aux personnes qui y travaillent, et la déclivité du terrain permet souvent de garder un accès à la lumière du jour ;
  • le monde de la superstructure, où l’on va positionner les fonctions les plus nobles, ou en tous cas celles qui nécessitent le plus d’ensoleillement, de vues, de dégagements, etc. Mais partout, cette couche d’infrastructure est explorée au même titre que la superstructure : on ne dissocie pas les deux. « Au bout d’un moment, quand vous travaillez sur du projet urbain, vous l’intégrez tellement que cela vous paraît naturel ».

Un autre élément important souligné par Frédéric Kappler est la cohérence. Lorsqu’un programme est réalisé, il y a nécessité d’être cohérent dans son fonctionnement et son dimensionnement avec ce qui va se passer dans les quinze à vingt ans. C’est encore plus vrai à Monaco.

La Principauté s’efforce toujours de dimensionner les projets en cohérence avec le long terme : ainsi, une plateforme de fret ne peut pas viser 400 m2 ou 30 colis ! Quels vont être les besoins des différentes composantes de la plateforme fret en 2030, 2040 ?

Sur la logistique classique, on sait à peu près où l’on va. En termes de commerce de gros, et surtout de messagerie, il faut approfondir. Est donc mené un certain nombre d’études, pour préciser l’organisation interne du commerce de gros, pour aller beaucoup plus loin sur l’aspect messagerie et e-commerce où il manque des études transversales et globales traitant de l’accueil de la marchandise, de son traitement et redistribution, mais aussi du transfert de responsabilités, de l’optimisation des surfaces dans la manipulation des colis, etc.

Il faut aussi réfléchir plus généralement sur le repositionnement du commerce urbain en lien avec le e-commerce, et surtout bien anticiper la dimension que va prendre la logistique urbaine : il faut s’y préparer dès aujourd’hui, surtout sur 2 km2 !

Daniel Boudouin, du cabinet JONCTION, qui a été consulté sur la partie logistique de la programmation, confirme l’attention toute particulière portée par les décideurs monégasques à l’anticipation des besoins économiques, sociaux et environnementaux du territoire et leur vision systémique. Le projet Charles III en est une illustration. « C’est une opération remarquable, qui témoigne de réflexions très approfondies sur la gestion des flux, en général, mais aussi par exemple en cas de travaux ». Ainsi l’État monégasque a d’ores et déjà prévu de dégager des espaces suffisants au sein de ce nouveau programme pour pouvoir réaliser des « opérations tiroirs » lorsqu’il y aura réaménagement ou rénovation d’autres bâtiments ; ceci afin de permettre la continuité des activités, notamment industrielles.

Monaco essait donc de répondre aux critères de la ville du XXIème siècle, en étant une ville intégrée concentrant sur son territoire à peu près toutes les fonctions, dont le logement qui continue à fortement se développer. Force est cependant de constater qu’autour de la Principauté, pendant très longtemps, la valorisation foncière a souvent prévalu sur la construction de nouveaux logements. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser problème à Monaco qui crée depuis 10 ans, environ 1.000 emplois par an (avec, de plus, des classes d’actifs importantes qui partent à la retraite) : il lui faut donc trouver de plus en plus de personnes et son bassin d’emploi s’élargit mécaniquement.


  • QUELS DÉLAIS POUR CE PROJET ?

Pour l’îlot Pasteur, où sera logée La Poste, mais aussi d’autres équipements comme une salle de spectacle, une médiathèque, des bureaux et un collège, les infrastructures devraient être bien avancées en 2020. Mais ce n’est qu’à la fin de ces travaux sur Pasteur que pourra démarrer le terrassement de l’îlot Charles III, du fait d’un terrain très fragile. Donc une fin des travaux est prévisible cinq ou six ans plus tard.

L’îlot Charles III est donc un travail sur et pour l’avenir !


Le cas des centres de distribution urbaine : penser l’immobilier au servcice des flux

Si les évolutions de la consommation et les exigences sociales et environnementales appellent au retour d’espaces logistiques en zone urbaine, l’immobilier logistique est un outil devant s’intégrer à une stratégie logistique globale, et non une fin en soi. Le cas des centres de distribution urbaine (CDU) l’illustre bien, tant par les succès que par les échecs.
Action drastique et visible de réorganisation des flux, le lancement d’un CDU est parfois mis en oeuvre de manière un peu précipitée, sans que soient examinées d’autres alternatives, conduisant à son échec. Comme le soulignaient déjà Michael Browne et ses co-auteurs en 2005 : « Il apparait que certaines expérimentations de CDU ont été basées sur l’intuition plutôt qu’une évaluation quantifiée et ont par conséquent peu de chance de succès ». Mais adapté à son contexte territorial et intégré avec bon sens dans la chaîne logistique, cela peut être un remarquable outil d’amélioration des flux, avec des effets positifs sur la supplychain amont et aval, comme pour les commerçants et citoyens de la zone couverte.


  • LE CENTRE DE DISTRIBUTION URBAINE : UN CONCEPT POLYMORPHE

Si l’appellation de centre de distribution urbaine est aujourd’hui largement utilisée en France, elle recouvre, de fait, de nombreux types d’organisations, qui reçoivent en Europe et au Japon des noms très variés.

Cette variété de noms reflète un concept polymorphe, désignant des structures qui diffèrent en termes de zone géographique couverte, acteurs impliqués, organisation logistique, structure financière, infrastructures et véhicules, types de produits traités, services supplémentaire proposés, inscription ou non dans un schéma de politiques publiques, etc.

Les études académiques elles-mêmes proposent plusieurs définitions, mais traitent généralement d’un espace logistique multi-acteurs de mutualisation des flux logistiques, à destination d’une zone urbaine de taille variable dont il est relativement proche, permettant la réorganisation de ces flux (consolidation/éclatement) avec des objectifs économiques, commerciaux, environnementaux ou sociétaux.

Il s’agit donc d’un type d’espace logistique urbain (ELU), qui se situe en principe en aval de la zone logistique urbaine (ZLU) et en amont du point d’accueil de véhicule (PAV).

  • ZLU : espace logistique desservant une aire urbaine et sa région, rassemblant plusieurs professionnels sur un même site (> 3 hectares), sans impliquer de mutualisation des flux. Exemple : les Marchés d’intérêt national.
  • PAV : espace logistique réservé au stationnement des véhicules pour une desserte à l’échelle du quartier.

Cette définition peut exclure des systèmes qui pourraient aussi être considérés comme des CDU. Il existe par exemple des plateformes d’éclatement urbaines mono-acteur, également appelées CDU mono-utilisateurs ou CDU privés (Dablanc et al. 2010), mises en place par une entreprise pour réorganiser ses propres flux à destination d’une aire urbaine. La ville de Paris connait plusieurs exemples de ce type, notamment ceux mis en place par Natoora, Monoprix, Chronopost...
Autre schéma intéressant, le CDU « virtuel », correspond à une réorganisation des flux ne s’appuyant pas sur une plateforme dédiée (voir encadré p. 40).


  • Typologies

Les classifications existantes sont nombreuses étant donnée la multiplicité des critères qui peuvent être choisis. À titre d’exemple, le Ministère de l’Équipement français distinguait en 2002 trois modèles : monégasque (monopole partiel sur appel d’offre public), allemand (coopération volontaire initiée par des transporteurs), et néerlandais (système de licences). Peter Klaus, en 2005, a classifié les initiatives allemandes en 3 groupes : systèmes intégrés dans un schéma global de logistique urbaine, systèmes utilisant des NTIC et technologies de transport alternatives, et systèmes du détaillant unique. En 2002, le guide européen de bonnes pratiques BESTUFS classait les CDU selon leur utilisation par une ou plusieurs entreprises, parlant de village de fret dans le cas d’une infrastructure multimodale.

Dans une étude considérée comme fondatrice (2005, reprise dans le guide BESTUFS de 2007), Michael Browne et ses coauteurs considèrent 3 types de CDU :

  • les CDU de projets spéciaux, opérant sur un temps limité, par exemple pour gérer les matériaux de BTP liés à un projet de construction (éco-quartier et aéroport de Stockholm) ;
  • les CDU desservant un site à propriétaire unique, tel un centre commercial ou les commerces d’un aéroport (Heathrow, Royaume-Uni) ; ceux-ci peuvent facilement être des points de passage obligatoires et leurs coûts intégrés à la location de l’espace commercial ;
  • les CDU desservant une ville ou aire urbaine, avec une zone desservie, une organisation logistique et un nombre et type d’acteurs impliqués variables.

  • QUELS BÉNÉFICES ATTENDUS ?

Nombre de structures interrompant leur activité, on a tendance à qualifier de « réussite » tout CDU qui se maintient dans le temps, ou qui atteint un équilibre financier. C’est oublier que tout espace logistique urbain est un outil, et en aucun cas un objectif en soi. Il est donc important que le porteur du projet définisse ses objectifs principaux et secondaires, à l’aune desquels sera évaluée la réussite du CDU.

  • Améliorer la qualité de vie des centres villes

A travers l’implication dans la création d’un CDU, les autorités locales affichent généralement comme objectifs la volonté de réduire les externalités négatives de la logistique urbaine, et d’améliorer les conditions de vie des citoyens, l’attractivité du centre-ville, la protection du patrimoine urbain et architectural… Sont aussi attendus des gains économiques pour le territoire grâce à la diminution de la congestion et de la pollution atmosphérique et sonore, mais ceux-ci sont plus difficiles à mesurer. Un tel équipement peut aussi contribuer à créer une certaine image de la ville, en particulier si des véhicules propres sont utilisés.

  • Des gains pour l’ensemble de la supply-chain

Le premier effet évoqué de tout CDU est la rationalisation du « dernier kilomètre », c’est-à-dire de la distribution en ville : il s’agit de mutualiser pour augmenter le taux de charge des véhicules, réorganiser les tournées selon les destinations, et donc réduire les kilomètres parcourus.
Toujours dans la partie aval, la création d’un CDU peut être utile aux commerçants en tant que destinataires finaux. En effet ceux-ci peuvent voir de multiples livraisons d’opérateurs différents se rassembler en un seul acte de réception, libérant le personnel pour qui peut consacrer plus de temps à son coeur de métier.

Centre de consolidation ou centre d’éclatement ?

Bien que de nombreuses études incluent dans leur définition même du CDU l’objectif de consolidation, elles intègrent cependant des exemples dont ce n’est pas une priorité. Ainsi on trouve des cas visant à réduire ou éliminer les véhicules lourds au profit de véhicules légers ou écologiques.

En schématisant les bénéfices attendus d’un CDU cherchant à utiliser des véhicules plus petits et ceux d’un CDU visant à améliorer le taux de charge des véhicules de livraison, l’étude de Browne et al. a souligné que ce dernier modèle semble globalement plus avantageux. Imposer des véhicules légers sans prendre en compte leur taux de charge peut être contre-productif. Il convient donc de choisir stratégiquement le type d’organisation des flux recherché selon les objectifs à atteindre. Pour un objectif de réduction des nuisances (polluants, congestion, bruit) sur la globalité des flux traités, la clé est d’utiliser des véhicules de taille adaptée (et si possible verts) à leur capacité maximale.

Enfin, les effets possibles d’un CDU sur les flux amont sont moins souvent évoqués, mais peuvent être tout aussi importants. Comme dans le modèle de Kassel, détaillé plus bas, l’opérateur du centre peut se charger non seulement de la distribution, mais également de la collecte des marchandises, massifiant ainsi les flux amont. Autre solution avantageuse pour les transporteurs amont, l’équipement peut proposer des horaires d’ouvertures étendus, permettant des livraisons de nuit évitant les heures de congestion routière.

Les retours d’expérience montrent que se concentrer uniquement sur un aspect du dernier maillon de transport peut engendrer des coûts importants, voir même s’avérer contre-productif au regard des objectifs socio-écologiques visés. En revanche, un projet qui s’inscrit dans la logique de la chaîne logistique existante, s’attachant à ses points améliorables tout en tirant parti de son efficience, peut engendrer des gains potentiels à l’échelle de la distribution, mais également sur la chaine amont.

  • Des services à valeur ajoutée pour le commerce de proximité

Si en France le CDU a souvent tendance à être une simple plateforme de consolidation, il peut également proposer une large palette de services complémentaires mutualisés, rendant son offre plus attractive et lui assurant des revenus complémentaires.
En premier lieu le CDU peut proposer aux commerçants un service de stocks déportés, libérant ainsi leur espace de vente tout en améliorant la disponibilité des articles ; son opérateur peut également prendre en charge les flux retours recyclables (cartons, emballages, etc.) ou les stocks d’invendus. Avec un personnel adéquat, le CDU peut également proposer des services à valeur ajoutée : il peut s’agir d’un contrôle qualité, d’un premier déballage de la marchandise, voire de l’étiquetage de produits ou de la de préparation de lots promotionnels. Enfin, il peut également proposer un service de portage d’achats pour les clients des commerces de proximité.


  • DE MULTIPLES PARTIES PRENANTES À COORDONNER

  • Des schémas très variés de gestion et d’exploitation

Les centres de distribution urbaine peuvent être issus d’une initiative de politique publique, au service de l’intérêt général, comme d’une stratégie commerciale privée de transporteurs visant en premier lieu une réduction de coûts. Mais un CDU peut aussi être le résultat d’une demande des commerçants, ou bien encore correspondre à un projet innovant financé par des fonds européens. Les systèmes de gestion qui vont en résulter sont donc extrêmement variés. Qu’il s’agisse ou non d’un partenariat public-privé, les CDU peuvent par ailleurs prendre diverses formes juridiques.

Une étude pour l’Etat de New-York (Panero et al. 2013) propose une classification par type d’exploitation et de propriété :

  • Le CDU est exploité par un acteur privé qui en est le propriétaire. Rentrent dans cette catégorie le cas particulier du système néerlandais de licences (voir encadré p.41), mais aussi les CDU dédiés à un site à propriétaire unique ; dont l’usage peut être suggéré (cas du centre commercial de Bluewater dans le Kent, RU) ou imposé (cas des commerces de l’aéroport de Heathrow, RU).
  • Le CDU est détenu et géré par une joint-venture privée. Dans ce cas, plusieurs possibilités s’offrent aux initiateurs pour choisir l’opérateur. L’une des entreprises du consortium peut être désignée, ce qui permet d’utiliser un entrepôt existant, mais impose un système complexe de compensations. Le consortium peut également faire appel à une entreprise « neutre », c’est-à-dire non encore présente sur le territoire. Enfin, un opérateur ad-hoc peut être créé, avec une gouvernance partagée.
  • Le CDU résulte d’un partenariat public-privé. Ici la propriété de l’infrastructure, voire des véhicules, revient généralement à l’acteur public. L’opérateur être une structure crée ad-hoc, ou une entreprise déjà existante.
  • Le CDU est une initiative publique. L’infrastructure et le matériel sont propriétés publiques, et les opérations sont gérées directement par l’institution ou par un opérateur choisi sur appel d’offre.

Cette classification n’est pas exhaustive, mais elle illustre la variété des schémas possibles. On repère actuellement en Europe plusieurs tendances : si les CDU en Allemagne ou au Royaume-Uni semblent émerger majoritairement d’initiatives privées, ce n’est pas le cas en France (hors CDU monoutilisateurs) et surtout en Italie, où ils sont très largement initiés par les collectivités locales ou à travers des projets européens.


Le “système néerlandais”

Le cas de la ville de Leiden (PB) est une illustration du « système néerlandais », tel que rapporté par le Ministère de l’Equipement français. La municipalité a instauré des restrictions horaires très importantes pour l’accès au centre-ville : sont exemptées de ces règles, pour un accès quasi-illimité, les entreprises de transport obtenant une licence délivrée sur des critères très stricts (véhicules électriques, taux de charge important, etc.). Les entreprises ne remplissant pas ces critères n’ont donc pas d’autre choix, sur certaines plages horaires, que de faire livrer leurs colis par les entreprises possédant la licence, dont les entrepôts deviennent, de fait, des CDU.

  • Quelle implication des pouvoirs publics ?

La réglementation constitue un levier d’action puissant pour favoriser le développement d’un CDU. C’est particulièrement le cas si les objectifs visés sont environnementaux ou sociaux, et donc difficilement traductible en valeur monétaire. Les coûts d’une rupture de charge supplémentaire n’étant alors pas entièrement compensés par des gains financiers, la réglementation permet de donner au CDU un avantage comparatif sur d’autres plans. Il n’est pas surprenant de constater que ce levier est plus utilisé dans les cas italiens, qui émergent du public ou de partenariats public-privés, qu’en Allemagne.

Les mesures incitatives les plus courantes sont des restrictions générales d’accès au centre-ville, basées sur la taille/le poids des véhicules, ou sur leur niveau d’émission de polluants. Elles peuvent s’inscrire dans des créneaux horaires spécifiques : ainsi à Sienne, en parallèle du lancement d’un CDU en 1999, tous les véhicules électriques ont été exemptés des restrictions horaires en vigueur dans le centre historique.
Certaines collectivités font le choix d’attribuer des avantages spécifiques aux véhicules du CDU, comme à Padoue, où ces derniers ont un accès 24h/24h aux Zones à Trafic Limité et peuvent utiliser les voies de bus.
Une restriction totale peut s’appliquer à tous les véhicules ne passant pas par les CDU, mais la frontière avec une atteinte à la libre concurrence est alors mince. On peut citer les cas de Vicenza, où seuls les véhicules électriques de l’exploitant du CDU, Veloce, ont accès au centre-ville, ce qui a conduit certains transporteurs à dénoncer une distorsion de concurrence. Somme toute, l’obligation totale de passer par un CDU est plutôt rare, et il est plus probable qu’elle émerge dans le cadre de schémas privés (aéroport ou centre commercial) que des schémas publics (centreville).
L’effet de levier de la restriction d’accès est tel que des villes néerlandaises ont pu faire émerger des CDU de fait par ce seul biais. En revanche, la non-congruence des politiques publiques peut avoir des effets néfastes ; ainsi l’aménagement de nouvelles zones de stationnement en surface a largement freiné l’activité du CDU de Fukuoaka.

La place des subventions publiques est un débat récurrent. Une forme commune d’aide publique est la mise à disposition de locaux ou l’aide à l’acquisition de véhicules. Dans le contexte actuel de réduction des dépenses publiques, les projets ont généralement comme objectif d’atteindre l’autonomie financière. Il faut cependant souligner que les équipements desservant une zone urbaine doivent faire leurs preuves sur le terrain avant de convaincre, et ne gagnent donc que très progressivement de nouveaux clients. Une aide publique au démarrage, maintenue sur 1 à 2 ans, peut donc être nécessaire pour atteindre une masse critique et l’équilibre financier. Dans de nombreux cas, (Bristol-Bath, RU ; Gênes, Ravenne, Bologne, IT), ce sont des fonds européens qui ont permis le lancement d’un CDU.

Par ailleurs, les collectivités, et particulièrement celles faisant face à des problèmes de pollution atmosphérique importants, peuvent trouver la source de financement d’un CDU dans d’autres politiques publiques, telles que l’instauration d’un péage urbain.


  • PLUSIEURS SCHÉMAS ORGANISATIONNELS POSSIBLES

La représentation classique d’un CDU, particulièrement en France, est celle d’une plateforme en immédiate périphérie où les transporteurs doivent déposer leur fret, qui est ensuite retraité et livré sur la zone urbaine concernée par l’opérateur du CDU. Dans le cas d’alliances inter-transporteurs, l’une des entreprises du consortium peut être choisie pour jouer ce rôle. C’est alors son entrepôt qui sert de CDU, ce qui peut nécessiter certaines adaptations.
Mais il ne s’agit que d’un schéma parmi d’autres. Dans plusieurs cas, le gestionnaire de la plateforme est responsable non seulement de la livraison, mais également de la collecte de la marchandise dans les entrepôts des transporteurs amonts. Selon le positionnement de ces derniers, ce système peut permettre une grande économie en termes de kilomètres parcourus dans une zone relativement proche de l’aire urbaine.


Les centres de distribution urbaine « immatériels »

Concept souvent oublié en France, les centres de distribution urbaine « immatériels » présentent un schéma logistique intéressant. L’innovation principale apportée par ce CDU, d’ordre organisationnelle, est de s’affranchir d’un centre physique dédié.

Il est possible de garder les infrastructures existantes, et d’avoir non un seul hub mais une organisation des flux pluri-entrepôts. Ainsi, dans le modèle coopératif de Munich, tel que décrit par Kohler, chaque transporteur participant se voit assigner une zone de l’aire urbaine, et collecte auprès des autres agents les biens qui y sont destinés pour les centraliser sur sa plateforme avant redistribution.

Il est également possible de mettre en place un système ne nécessitant aucune infrastructure immobilière. C’est le modèle développé par La Tournée à Paris, qui livre aux habitants des marchandises provenant des commerçants du quartier, mais gère aussi le dernier kilomètre pour des flux venant de l’extérieur. La segmentation de la distribution de flux légers par zones très restreintes permet aux livreurs de se déplacer à pied avec du matériel roulant léger, et d’effectuer leurs opérations de réorganisation des flux sur l’espace public. Cette micro segmentation n’empêche pas, en agrégé, de couvrir un territoire important : grâce à des liaisons en boucles, La Tournée souhaite couvrir tout Paris après une expérimentation couronnée de succès à Belleville ! Mais il faut pour cela être persévérant : « Le concept d’une infrastructure de services, quasi immatérielle n’est pas spontanément compris, et la décision est compliquée pour la majorité des parties prenantes », confie Bernard Liscia, membre du consortium à l’initiative du projet.

Enfin, le projet Logistique Urbaine Mutualisée Durable (LUMD) porté par Presstalis visait à développer une mutualisation des flux urbains en commercialisant les espaces résiduels des transporteurs grâce à une plateforme logicielle sur internet.


  • DES PARAMÈTRES DÉTERMINANTS : L’IMPLANTATION ET LES FLUX TRAITÉS


  • Localisation : un équilibre à trouver

La rareté du foncier conduit parfois à situer l’entrepôt par défaut ; or le choix du lieu d’implantation est un élément crucial de succès. Trop proche de sa zone de desserte. Le CDU peut n’avoir que peu d’effet, les flux amont devant tout de même pénétrer l’aire urbaine pour y accéder ; trop éloigné, il peut freiner l’utilisation de véhicules propres pour la distribution, ou entraîner de détours trop importants, décourageant l’opérateur amont d’adhérer au système. De plus, il faut prendre en compte l’augmentation du trafic de véhicules dans la zone immédiate du CDU, et le cas échéant, adapter les infrastructures routières. Cas original, le Broadmead Freight Consolidation Scheme n’a pas été accolé à la ville de Bristol, mais situé sur un axe important d’accès ; cette situation a permis en 2011 d’étendre son champ d’action à la ville voisine de Bath (respectivement 85 et 21 commerces desservis, utilisation de camions électriques).

  • Une zone de chalandise à cibler

Si la zone couverte apparaît clairement dans certaines catégories d’équipement (projet d’aménagement ou de construction / centre consacré à un équipement spécifique), la catégorie de CDU « desservant une ville ou une zone urbaine » recouvre quant à elle des réalités très différentes, allant de l’aire urbaine au quartier (Bristol Broadmeed), en passant par la ville. À Fukuoaka, au Japon, la zone desservie est le quartier des affaires de Tenjin, soit 37 hectares et plus de 2.000 établissements. Fondé en 1979, il est considéré comme le doyen des CDU ayant perduré.

Globalement, on constate que les projets pérennes ont généralement sélectionné de manière stratégique les zones à desservir après une évaluation des flux, zones qui ne correspondent que très rarement à des frontières administratives.

  • Quelles marchandises traitées ?

Selon le contexte territorial, un Centre de distribution urbaine peut être amené à traiter différents types de flux. Les premières expérimentations sur un territoire traitent prioritairement de marchandises non-alimentaires, destinées au commerce de détail. Même sur cet éventail limité, la grande variété des emballages peut s’avérer problématique. Cependant le traitement des denrées alimentaires en sec est souvent rapidement envisageable, et il existe des cas intégrant des flux en température dirigée. Ainsi le projet de centre de consolidation initié dans le cadre du programme européen FREVUE, à Madrid, inclut dans son consortium une importante industrie laitière, le groupe Pascual. Certains biens sont cependant exclus du traitement par un CDU, du moins jusqu’à présent. C’est le cas des marchandises à haute valeur ajoutée, nécessitant une manipulation particulière ou ne supportant pas les variations de température/lumière, mais également les flux soumis à une contrainte de temps importante.

La question de la responsabilité est souvent présentée comme un point d’achoppement a priori. Cependant, les contraintes juridiques ont su être surmontées avec différentes solutions. Par exemple l’opérateur du CDU peut être le destinataire officiel de la marchandise arrivant en amont, et effectuer un contrôle qualité, lui-même ayant sa propre assurance transport et pouvant convenir d’un contrat de responsabilité avec les commerçants. Dans ce cadre, le choix d’un prestataire professionnel déjà existant, plutôt qu’un opérateur créé ad-hoc, peut rassurer les parties prenantes sur la qualité du service. À Bristol-Bath (opérateur Exel - DHL), 90% des destinataires indiquent n’avoir jamais, ou très exceptionnellement, reçu de colis endommagés. Reste dans ce cas cependant le problème du partage de l’information commerciale avec un concurrent…

  • Le choix des véhicules

De la localisation du CDU, des volumes et types de flux dépendra le type de véhicule à utiliser. Des véhicules écologiques ou plus performants en termes environnementaux sont souvent un élément clé pour atteindre les objectifs du CDU. Ceux-ci peuvent en outre être mieux adaptés au format de la ville. La grande majorité des projets ayant émergé ces cinq dernières années mettent au coeur de leur stratégie l’utilisation de véhicules verts, souvent électriques. Poussant l’adaptation du véhicule à son environnement à l’extrême, le projet Cargohopper à Utrecht a adopté un système de véhicule léger tractant des conteneurs urbains.


  • PLUS D’UNE CENTAINE DE PROJETS : QUEL BILAN ?

  • Un défaut d’évaluation des bénéfices

Si les projets et expérimentations de CDU sont nombreux, il est difficile aujourd’hui d’en faire un retour fiable. En effet peu d’expérimentations de CDU ont mis en oeuvre une véritable évaluation, c’est-à-dire un travail sur la durée, définissant une méthodologie afin de mesurer, avant et après l’établissement du CDU, un certain nombre d’indicateurs (quantitatifs ou qualitatifs). Ainsi en 2005, Browne recensait seulement 17 évaluations crédibles sur une centaine de projets conduits les années précédentes. Même pour cellesci, il était parfois difficile d’établir si les résultats présentés étaient issus de mesures ou d’estimations.

Citons cependant les bénéfices mentionnés dans la majorité des cas : une diminution du nombre de tournées, de la consommation de carburant, de l’émission des véhicules et du nombre total de kilomètres parcourus.

Par ailleurs il est fondamental de savoir ce que l’on mesure. Dans l’immense majorité des cas, les évaluations comparent la distribution depuis le CDU et la distribution sur ce même segment sans CDU pour les seuls flux captés. Or, un bilan de l’impact effectif d’un CDU sur une aire urbaine devrait y mesurer l’impact à un niveau plus global, particulièrement si le volume d’activité du centre est anecdotique. Á titre d’exemple, dans le cas du CDU de Tenjin, une diminution de 61% de camions utilisés sur les flux captés correspond à une diminution du trafic de seulement 0.8% sur l’axe principal d’accès au centre ! En revanche, les indicateurs sur les seuls flux captés sont tout à fait valables pour mesurer le potentiel d’impact du CDU, s’il est possible de capter d’autres flux…
Les enquêtes de satisfaction peuvent également permettre d’évaluer les résultats d’un CDU, notamment auprès des commerçants, mais elles restent relativement rares. L’une de ces études, menée sur le centre de Bristol-Bath, indique que 67% des utilisateurs se déclarent globalement très satisfaits du service, la part d’insatisfaits étant proche de 0.

  • Pas de modèle type transposable

Sur 39 cas étudiés, l’étude pour l’Etat de New-York (Panero et al, 2013) recense 10 CDU n’étant plus opérationnels, et 3 CDUs volontairement temporaires. Pour l’Angleterre, cette étude recense 6 CDU, tous en activité sauf le CDU temporaire monté pour la construction de l’aéroport de Heathrow. L’étude de Gonzalez-Feliu et al, (2013) sur l’Europe du Sud-Ouest recense 18 projets français, dont 7 arrêtés ou suspendus ; en revanche en Italie 12 cas sur 15 sont encore actifs.
On peut donc souligner que certains pays semblent connaitre un taux de maintien de leur CDU plus important. Cependant cela ne permet pas de conclure à un modèle favorable, puisqu’il s’agit de deux pays présentant des initiatives drastiquement différentes : l’Italie (impulsion majoritairement publique) et le Royaume Uni (majoritairement privé).

Il est en tout cas difficile à l’heure actuelle de parler d’un modèle type transposable, puisque chaque système doit être finement adapté à son contexte territorial et logistique – voire culturel. Cependant, on peut lister certains prérequis.


  • CDU, LES POINTS CLÉS DE LA DÉMARCHE

En préalable, il est important de valider la pertinence d’un CDU comme solution possible à des problématiques clairement identifiées.

  • Identifier la problématique à traiter. Pour des professionnels, transporteurs ou commerçants, il peut s’agir de problématiques opérationnelles identifiées dans leur activité quotidienne (faible qualité de service, coûts du dernier km trop importants…). Pour une collectivité, ce peut être des enjeux de qualité de vie (congestion, émissions de polluants) comme des enjeux économiques.
  • Établir un diagnostic logistique. Il s’agit de connaître les flux du périmètre concerné, leurs éventuels dysfonctionnements, leurs impacts sur le territoire ainsi que leur part de « responsabilité » dans la problématique identifiée (selon l’étendue et les moyens du territoire : enquêtes - mesures, estimations sur ratios ou modélisation, réunions de concertation…). Cette connaissance des flux permet non seulement de fixer les objectifs prioritaires du porteur de projet, mais également de renforcer sa légitimité.
  • Valider la pertinence théorique d’un CDU pour le contexte territorial concerné. Les expériences passées semble indiquer qu’un centre-ville contraint (souvent un centre historique) ou une zone spécialisée, avec un nombre important de petits commerces, peuvent constituer des terrains pertinents.
    L’utilité théorique d’un CDU ne garantit cependant pas son succès : en faire une condition nécessaire de la bonne organisation des flux n’en fait pas une condition suffisante. Autant que le contenu du projet, la démarche d’élaboration et de mise en oeuvre est cruciale, et certains points ne peuvent être négligés.
  • Réunir les acteurs dans une démarche partenariale (principalement les responsables publics, les transporteurs, les commerçants) est une condition importante de la réussite d’un CDU pour deux raisons. En premier lieu, réunir les parties prenantes est indispensable pour bien calibrer le projet, les différents acteurs détenant chacun une part des informations nécessaires. Par ailleurs si les acteurs sont impliqués, voire s’approprient le projet, ils appuieront davantage sa réussite.
  • Équilibrer les coûts et bénéfices entre acteurs. Il s’agit d’un exercice délicat mais essentiel ; si l’équilibre parfait est difficile à atteindre, il importe de ne pas faire reposer sur une seule catégorie d’acteurs les coûts (notamment monétaires) de la rupture de charge qu’implique le CDU, mais de les faire correspondre aux bénéfices tirés par chaque acteur, commerçant, transporteur, ou puissance publique.
  • Fixer des objectifs clairs et définir une méthode d’évaluation. Cela implique de partir d’un état des lieux existant, et de fixer des objectifs qui peuvent être opérationnels (part des flux choisis à capter, volumes traités, commerces desservis, etc.), économiques (équilibre financier ou part de l’activité autofinancée à terme – gains sur les coûts du dernier kilomètre pour les transporteurs), socio-environnementaux (diminution de la congestion, de la pollution).
  • Enfin, le schéma mis en place doit découler des éléments précédents.
  • Mettre en place les tournées selon une optimisation des flux logistiques tout en visant à s’accorder aux attentes des utilisateurs en termes de fréquences et d’horaires.
    Choisir une infrastructure, des véhicules, et un système d’information adaptés.
    Proposer une gamme de services ajustée aux attentes des utilisateurs et aux moyens humains et financiers du centre.

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